Récemment, j’ai pris part à une conversation sur Twitter concernant la prise en charge en SMUR d’un choc hémorragique du post-partum d’une parturiente ayant accouché en maison de naissance.

Le sujet du post d’aujourd’hui n’est pas de parler des accouchements en maison de naissance, quoiqu’il y ait beaucoup de chose à dire mais plutôt d’aborder l’hémorragie du post-partum (HPP) sous un angle un peu différent de d’habitude. Le but n’est pas non plus d’aborder la gestion du choc hémorragique en termes de protocole mais plutôt d’évoquer les écueils dans lesquels il est facile de tomber et qui peuvent nuire à la prise en charge de ces patientes.

Tous les anesthésistes ou réanimateurs qui prennent en charge ces patientes à l’hôpital et les urgentistes qui les transportent en urgence le savent, l’impact émotionnel est important du fait du contexte et par conséquent ce contexte est prompt à nous faire commettre des erreurs de jugement. Et comme le dit un autre Twittos dans la même conversation :

Le débit sanguin utérin ne cesse d’augmenter pendant la grossesse pour atteindre 20% du débit cardiaque à terme. Le calcul est simple et le résultat est bien pire qu’annoncer plus haut. Sans réanimation médicale, chirurgicale et/ou radiologique, en 5 minutes la situation est catastrophique.

Je ne me rappelle plus où mais j’avais lu cette citation qui peut s’appliquer à tous les domaines de la médecine aiguë mais encore plus lors des gardes à la maternité :

« En anesthésie obstétricale, quand tu penses à faire quelque chose que tu n’as pas déjà initié, il est déjà trop tard ».

Et plus précisément dans ce post, nous proposons de résumer 4 « MUST DOs » et 3 « FBI (Fausses Bonnes Idées) » dans lesquels il ne faut pas tomber lors de l’HPP à la maternité ou dans le bloc des césariennes.

MUST DO 1 : TOUTE PÉRIDURALE DOIT FONCTIONNER PARFAITEMENT

Cela peut sembler évident mais c’est le point de départ de toute la réanimation qui suivra.

Si la patiente n’en a pas, alors c’est l’anesthésie générale (AG) en séquence rapide et une équipe obstétricale avec le scalpel entre les dents.

Mais lorsqu’il y en a une, elle doit fonctionner parfaitement.

Encore plus chez la patiente à risque de césarienne et à risque d’HPP.

Facteurs de risque de césarienne :

  • Provocation de l’accouchement ou introduction des ocytociques avant 40 mm de dilatation,
  • Bassin maternel cliniquement anormal,
  • Périmètre céphalique fœtal estimé supérieur au 95ème percentile,
  • Poids fœtal estimé de plus de 4000 g,
  • Direction du travail avec la mise en place d’une analgésie péridurale (APD) avant 30 mm de dilatation,
  • Présence d’un fœtus en variété postérieure ou en siège.

Facteurs de risque d’HPP :

  • Âge maternel :
    • HPP x 3 quand âge > 35 ans,
    • HPP x 8 quand âge > 40 ans,
    • Quand l’âge de référence est compris entre 25 et 39 ans.
  • Conditions socio-économiques, niveau d’accès aux soins et origine ethnique :
    • Pas de données précises en France ou en Suisse, car rarement étudiés dans les enquêtes de mortalité et pas de classification ethnique,
    • Aux USA, RR x 3 lorsque les patientes ne sont pas blanches indépendamment de l’âge maternel et le fait d’être de race noire augmente ce risque indépendamment de la parité, du niveau d’éducation et du statut marital.
  • Absence de suivi prénatal,
  • Existence d’une grossesse multiple,
  • Existence d’une prééclampsie,
  • Existence d’une anomalie placentaire (hématome rétro-placentaire, placenta prævia, rupture utérine),
  • Antécédent d’HPP,
  • Réalisation d’une césarienne.

Transformer une APD fonctionnelle en anesthésie péridurale sera toujours plus rapide que de croiser les doigts après l’injection dans le cathéter de péridurale de 10 à 20 ml de Lidocaïne CO2 2% ou Chloroprocaïne 3% en s’interrogeant sur la juste efficacité de la péridurale pour finalement faire l’AG en catastrophe sur un niveau anesthésique qui ne monte pas ou pas correctement.

Lorsque l’on prend la garde, il suffit :

  • De demander à son collègue si les péridurales posées fonctionnent,
  • Ensuite, lors du « bonjour » réglementaire aux sages-femmes, leur demander s’il y a des APD qui ne fonctionnent pas correctement tout en repérant les patientes potentiellement à risque de césarienne ou d’HPP,
  • Et enfin faire le tour de toutes les salles de naissance pour s’assurer personnellement que les APD fonctionnent bien, en effectuant un niveau précis.

Lorsque l’APD n’est pas fonctionnelle, parce que le niveau est asymétrique, patchy ou insuffisant, la stratégie a appliqué peut être la suivante :

  • Prévenir la patiente de la possibilité de l’échec de l’APD et de la nécessité de réaliser une nouvelle pose de catheter péridural,
  • Tentative de sauvetage :
    • Injection d’un anesthésique local à action rapide : Lidocaïne 1 ou 2%,
    • Injection de volume (2 ml par métamère en sachant que les douleurs de la première phase du travail sont surtout médiées par les racines T12-L1)
    • Décubitus latéral pour tenter de retrouver une symétrie de l’analgésie.

Une chose est sûre. Par expérience, une APD foireuse le reste souvent s’il y a un échec des tentatives de sauvetage. Dans ce cas, il faut reposer une nouvelle péridurale.

MUST DO 2 : ACTIVER L’APD EN ANESTHÉSIE PÉRIDURALE EN 2 TEMPS

Quand l’urgence 0 sonne, je prends :

  • 2 seringues de 10 ml de Lidocaïne CO2 2% préparées préalablement,
  • 1 seringue de 5 ml,
  • 1 pain de glace,
  • 1 seringue préremplie de Phényléphrine 100 mcg/ml et 1 seringue préremplie d’Éphédrine 3 mg/ml.

Direction la salle de naissance où je vérifie :

  • Le niveau de l’analgésie avec le pain de glace,
  • L’absence de migration intrathécale ou intravasculaire du cathéter de péridurale avec un test d’aspiration à l’aide de la seringue de 5 ml,
  • Si le niveau d’analgésie est normal (T12-L1), injection de 10 ml de Lidocaïne CO2 2% en salle de naissance avant transfert au bloc opératoire si césarienne

Durant le transfert au bloc (si césarienne et/ou d’HPP – là où je travaille, la majorité des HPP sont gérées au bloc et pas ou peu en salle de naissance) :

  • Surveillance clinique de la tension artérielle (une patiente éveillée = TAM suffisante pour la perfusion cérébrale),
  • En cas de nausée, de sensations de vertiges, de sueurs (ou de tous signes d’hypotension artérielle) injection de Phényléphrine et/ou d’Éphédrine (attention à la patiente pré-éclamptique),
  • Dès le transfert sur la table d’intervention fait, nouveau niveau avec le pain de glace et réinjection d’AL dans le cathéter de péridurale en fonction. But = niveau T4 pour la sortie du bébé (dans le cas de la césarienne),
  • Dans le cas d’une HPP avec la nécessité d’une révision utérine, bien évidemment le niveau souhaité pourra être inférieur avec des doses d’AL dans le cathéter de péridurale moins important.

MUST DO 3 : SE PRÉPARER À L’INTUBATION DIFFICILE TÔT

Même en cas de péridurale fonctionnelle, j’ai toujours un plateau de drogues pour l’induction de l’anesthésie générale avec le matériel pour l’intubation (laryngoscopie standard et vidéolaryngoscopie, tubes et mandrin, chariot d’intubation difficile dans la salle).

Je place systématiquement le coussin d’intubation difficile sur la table d’opération pour qu’il soit déjà en place sous la patiente. Je préviens les chirurgiens car la patiente semble forcément un peu plus assise mais la plupart du temps cela ne les gêne pas.

Je pousse même le bouchon un peu plus loin en cas de césariennes pour souffrance fœtale (il ne faut pas oublier que dans ce cas, le bébé à naître est en arrêt cardiaque).

Dès que l’on est entré dans le bloc, près de respirateur, je préoxygène la patiente à FiO2 = 100% et valve APL fermée à 5-7 cmH2O. Je tiens le masque et je communique avec la patiente pour la rassurer en parlant calmement dans le chaos ambiant. Pendant ce temps, l’équipe chirurgicale désinfecte, champe et finit de se préparer.

Je demande derrière les champs aux chirurgiens de tester l’efficacité de l’anesthésie péridurale avant l’incision (chez nous ils utilisent la pince a griffe au niveau de l’incision cutanée) :

  • Si c’est OK, go et j’arrête rapidement la préoxygénation,
  • Si ce n’est pas OK, on part pour l’AG avec une patiente préoxygénée pendant 3 à 5 minutes. Il ne reste plus qu’à injecter l’hypnotique et le curare pour l’intubation.

Sans revenir sur l’intubation de la femme enceinte qui peut être difficile, personnellement je donne le feu vert pour l’incision chirurgicale dès la perte de conscience et avant d’avoir sécurisé les voies aériennes. Franchement, il y a la dissection des différents plans avant l’utérotomie et la sortie « mouvementée » du bébé (toujours en arrêt cardiaque) qui prend quelques minutes et qui me laisse le temps pour l’intubation. En cas de difficulté, je m’adapte selon le protocole d’intubation difficile…

MUST DO 4 : COMMUNIQUER AVEC LES CHIRURGIENS

Là encore cela semble évident, mais ce n’est pas toujours fait ou correctement. Nous avons tous nos prérogatives et nos priorités mais elles doivent se rejoindre pour la santé de la mère et de l’enfant.

Le premier temps essentiel de communication est d’assurer les chirurgiens de la juste anesthésie de la patiente. Évidemment pour le confort de la patiente, mais pour le leur aussi. D’où l’intérêt d’être parfaitement sûr de sa péridurale. Si c’est le cas, on sait qu’elle « montera » et on peut donc leur dire :

  • « Vas-y, ça monte et sera parfaitement bon pour la sortie du bébé. » ou,
  • « Stop, on fait une AG, donne-moi 90 secondes !!!».

Le deuxième temps important est la communication sur la cinétique du contrôle de l’hémostase tant chirurgicale que « médicale ».

Il faut dire les choses clairement. Dans le contexte de la césarienne qui se complique d’HPP ou de l’HPP après un accouchement vois basse (AVB), les obstétriciens auront largement de quoi faire pour ne pas avoir à directement se soucier du temps qui passe et des étapes de la réanimation de l’hémorragie. Ils doivent être informés des différentes étapes activées mais le déclenchement de ces dernières repose sur l’anesthésiste.

  • L’HPP se définit pour un saignement supérieur à 500 ml après un AVB et supérieur à 800-1000 ml en cas de césarienne.
  • En cas d’HPP après AVB, nous sommes souvent prévenus alors que les 500 ml sont déjà atteints, il faudra donc lancer les mesures rapidement.
  • En cas d’HPP au cours de la césarienne, qui permet un contrôle beaucoup plus précis et fiable des pertes sanguines, les mesures peuvent être déclenchées avec plus de précisions :
    • Utérotoniques :
      • Après l’utérotonique classique Ocytocine IV,
      • Envisager le Sulprostone (Nalador) dès 500 ml, le préparer dès 800 ml et qu’il passe lorsque les pertes sanguines atteignent 1000 ml.
    • Transfusion et réanimation liquidienne :
      • Lancer le protocole de transfusion massive précocement. En effet, il est souvent prescrit trop tard. Dès 1000 ml, il semble sage de l’activer. Au pire, en cas de contrôle de l’hémorragie avant son arrivée, il ne sera pas ouvert et pourra être renvoyé au laboratoire.
      • En cas d’hémorragie majeure et rapide, il faut utiliser les culots érythrocytaires O stockés dans le dispositif d’urgence vitale (DUV). Ils ne sont que trop rarement utilisés alors qu’ils sont là justement pour cela. Il est clair qu’une transfusion précoce sera toujours préférable à des quantités de cristalloïdes. Si l’hémorragie est clairement active, alors il faut les perfuser dès 800 ml.
      • Évoquer haut et fort l’embolisation tôt en cas d’échec du contrôle chirurgical et médical de l’hémorragie. Plus on attend, plus les risque du développement d’une coagulopathie est important. Encore plus dans une maternité sans embolisation qui va nécessiter un transfert en SMUR.
    • La décision d’une embolisation et/ou d’une hémostase chirurgicale plus ou moins définitive doit également être basée sur une communication entre les obstétriciens, les anesthésistes-réanimateurs et les SMURistes. Plus que l’indication, c’est le passage des barrières cognitives face à l’échec des mesures entreprises jusqu’alors et la considération de la gravité de la situation qui doit être multidisciplinaire pour que ce soit des décisions partagées pour la survie de la patiente.

FBI 1 : NE PAS PRIORISER L’ÉQUIPEMENT DE LA PATIENTE

Deux écueils dans ce paragraphe.

Le premier, vouloir absolument mettre en place un cathéter artériel avant le Sulprostone. Même en étant un Lucky Luke de l’artère, cela prendra toujours trop de temps et la TA pourra être surveillée au brassard pendant la réanimation. Il sera toujours temps de poser un catheter artériel plus tard en réanimation, en salle d’embolisation ou avant le transfert en SMUR…

Le deuxième, un peu dans le même style, est de vouloir poser une voie veineuse centrale (VVC). Sauf en vas de voie veineuse périphérique impossible, un bon gris ou vert sera toujours plus rapide et préférable qu’une VVC, que ce soit pour le remplissage, pour la transfusion comme pour la noradrénaline.

FBI 2 : FAIRE UNE ANESTHÉSIE GÉNÉRALE EN ABSENCE D’INDICATION

En situation de stress, on veut souvent faire ce que l’on sait bien faire et que l’on fait souvent.

Mais en l’absence d’indications claires (inefficacité de l’anesthésie péridurale ou trouble de la conscience) l’anesthésie générale apportera plus d’inconvénients que d’avantages :

  • Les drogues d’anesthésie seront à l’origine d’hypotension artérielle,
  • La ventilation en pression positive gênera le retour veineux et sera à l’origine d’hypotension artérielle,
  • On se prive d’un excellent moyen de déterminer la juste TAM pour pratiquer de l’hypotension permissive contrôlée qui est la conscience de la patiente. Si à TAM = 50 mmHg, la patiente nous parle et est orientée, alors cette TAM pourra être maintenue le temps d’obtenir l’hémostase.

FBI 3 : SE SÉPARER DE RESSOURCES HUMAINES

On pourrait aborder plusieurs raisons de se séparer d’un infirmier ou de vouloir quitter le bloc opératoire pour ce truc hyper-important pour la prise en charge de cette patiente. C’est ce qu’on appelle les conduites d’évitement.

Une me vient directement à l’esprit. Envoyer l’infirmier anesthésiste faire un TEG ou un ROTEM en urgence. Souvent les machines ne sont pas dans le bloc opératoire, on ne les utilise pas fréquemment, il y a un risque non négligeable que cela ne fonctionne pas, etc, etc…

Mon propos n’est pas de dire que ces outils ne sont pas importants dans la réanimation du choc hémorragique mais que face à ce type d’hémorragie qui surviennent les nuits de pleine lune, garder près de soi le maximum de compétences est certainement plus censé…

Et puis globalement, on finira par toujours devoir passer ce fucking fibrinogène si pénible à préparer.

CONCLUSION

Vous l’aurez constaté, nous abordons ici uniquement quelques points de la prise en charge de l’HPP, surtout dans le contexte du bloc opératoire pour les césariennes en urgence.

Sans vouloir être démago et contenter tout le monde, les choses sont finalement assez simples. Elles reposent d’ailleurs sur des expériences personnelles mais dans un contexte d’urgence émotionnellement difficile avoir certains automatismes est souvent très appréciable.

Si vous avez vos MUST DOs et FBI, partagez-les, c’est le but du bloc.

BIBLIOGRAPHIE

One thought on “CHOC HÉMORRAGIQUE EN SALLE DE NAISSANCE

  1. Bravo pour les FBI et ces indispensables
    Qq idées à rajouter et discuter!
    Fi O2 100% je préfère 80..
    Le premier signe d’hypovolémie= la tachycardie bien avant la chute de TA ( PNI ok mais cardio++)
    Dans le dossier des patientes à risque auquel je rajouterais les grandes multiparités, c’est bien d’avoir une fibrinogénémie au 9° mois. Si elle n’est pas élevée ++ il faudra être plus rapide sur le fibri.
    Ne pas oublier de commander les plaquettes en même temps que GR et PFC.
    Si abord veineux périphérique difficile :utiliser échographie pour poser un désilet et transfuser par le désilet ; Effectivement le cathéter central est trop petit et inutile sauf pour les fanas PVC;-)))
    Si embolisation on aura une voie artérielle sur la fémorale très utile pour les bilans coagulation.
    Pour la bio on doit anticiper les résultats et corriger ensuite..
    Je ne connais pas de regrets d’avoir passer trop de fibri…pas assez oui!
    Il faudrait un autre post pour abord des voies aériennes en cas de césarienne urgente ( Rachi, ML..anti H2 en salle de naissance..choix du curare…etc..)

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