Lorsque l’on parle d’anesthésie loco-régionale, plusieurs types d’anesthésistes s’affrontent.

Les « tout ALR » qui bloquent tout ce qui ressemble de près « et » de loin à un nerf (visible ou non d’ailleurs), les « multimodaux » qui bloquent pour multiplier les axes d’attaque des stimuli nociceptifs (et parce qu’un pot belge s’accompagne très bien d’un petit donut) et les « pas pour moi » qui bloquent peu ou pas parce qu’on ne meurt pas de « douleurs locales fortes » et que l’on fait bien ce que l’on fait souvent.

Ce qui est sûr, c’est que c’est en luttant contre certains aspects « magiques » de l’ALR et en comprenant mieux et précisément ce que l’on fait tout en limitant les risques que l’ensemble des anesthésistes pourront l’utiliser quand il faut.

En ce sens, l’éditorial de McLeod et Reina, publié en janvier 2024 dans le BJA est une source d’éclaircissement et de réassurance.

Prenons le temps de décrypter les informations importantes pour élargir notre vision de l’ALR.

Avant d’analyser l’article, commençons par un rappel d’anatomie nerveuse.

 

DU PETIT VERS LE GRAND (QUI RESTE PETIT)

3 PARTIES COMPOSENT LE NEURONE

  • Le corps cellulaire,
  • Les dendrites correspondant aux fibres de conduction afférentes,
  • Les axones correspondant aux fibres de conduction efférentes.

LES COUCHES

  • L’endonèvre qui entoure un axone,
  • Le périnèvre qui entoure un fascicule,
  • L’épinèvre qui entoure un nerf entier.
  • On parle aussi du mésonèvre qui entoure les troncs nerveux périphériques.

ENDONÈVRE

  • Couche la plus interne de tissu conjonctif.
  • Forme une couche interstitielle autour de chaque fibre à l’extérieur du neurolemme.
  • Matrice de tissu conjonctif contenant des capillaires, des mastocytes, des cellules de Schwann, des macrophages et des fibroblastes.
  • Fonctions :
    • Maintenir la cohésion de l’espace endoneural,
    • Maintenir la pression du fluide extra-cellulaire.
  • Le collagène qui le constitue est organisé en fibres longitudinales (= résistance aux forces de traction).

PÉRINÈVRE

  • Gaine entourant chaque fascicule.

  • C’est du tissu conjonctif constitué de couches concentriques de cellules aplaties séparées par des couches de collagène.

  • Le nombre de couche dépend de la taille du fascicule :
    • De 8 à 16 couches concentriques peuvent entourées les gros faisceaux nerveux,
    • 1 seule couche de cellules périneurales entoure les petits faisceaux distaux.
  • Dans les nerfs périphériques plus gros et plus proximaux :
    • Ces couches concentriques alternent avec des couches de fibres de collagène semblables à celles de l’épinèvre,
    • Mais ces fibres de collagène sont plus fines que celles de l’épinèvre.

  • L’épaisseur de périnèvre varie :
    • Entre 1 et 100 μm,
    • Quand le nombre de fascicules dans le nerf augmente, l’épaisseur du périnèvre diminue. Par exemple pour le nerf médian, l’épinèvre apparait proportionnellement plus épais au poignet qu’à l’aisselle.
  • Son rôle :
    • Maintient la pression intrafasciculaire,
    • Contribue à un effet barrière hémato-nerveuse,
    • Protège le tube endoneural des traumatismes externes,
    • Protège des forces de traction et de compression grâce aux fibres de collagène et d’élastine.
  • La pression exercée sur le périnèvre est transmise à l’endonèvre et finalement aux fibres nerveuses.

ÉPINÈVRE

  • Tissu conjonctif lâche, subdivisé en 2 couches interne et externe.
  • L’épinèvre externe :
    • Entoure le tronc nerveux,
    • Offre une protection contre les forces de compression et traction.

  • L’épinèvre interne :
    • Constitue le tissu collagène de base séparant physiquement les fascicules.
    • 2 fonctions :
      • Protège le tronc nerveux contre les forces de compression,
      • Facilite le glissement entre les fascicules,
      • Quand les nerfs s’étirent, les fascicules glissent au sein de la matrice de collagène.

  • Épaisseur :
    • En tant que structure anisotrope, l’épaisseur de l’épinèvre interne est directement corrélé au diamètre du nerf,
    • Plus d’épinèvre au sein des segments nerveux confrontés à des forces de compression-glissement en regard des tunnels nerveux,
    • Grande variation de l’épaisseur de l’épinèvre dans différents nerfs et différents niveaux du même nerf :
      • 22% de la section transversale du nerf ulnaire au niveau du coude,
      • 88% de la section transversale du nerf sciatique au niveau de la fesse,
      • En général, l’épinèvre représente 30 à 75% de la section transversale d’un nerf
    • Contient des adipocytes, des fibroblastes, des fibres de tissu conjonctif, des mastocytes, de petits vaisseaux sanguins et lymphatiques et de petites fibres nerveuses innervant les vaisseaux.
    • Organisation structurelle :
      • L’épinèvre est perméable par l’intermédiaire de ses fibroblastes,
      • Ces fibroblastes forment le collagène épineural, composant principal de cette couche.
      • Des fibres élastiques sont également présentes et sont beaucoup plus compactes que les fibres de collagène.
      • L’épinèvre de certains nerfs sont très riche en tissu adipeux comme pour le nerf sciatique. Les nerfs fibulaire et tibial en contiennent moins.

GAINES PARANEURALES

L’anatomie descriptive des nerfs périphériques distaux est précise en distinguant chaque couche conjonctive qui entourant les axones (endonèvre), les fascicules (périnèvre) et les nerfs périphériques uniques (épinèvre).

Cela devient plus complexe pour le tissu conjonctif qui pare plus d’un nerf. Comme le nerf sciatique au creux poplité. On peut parler de paranèvre, de gaines paraneurales, de gaine épineurale commune, de conjonctive nerveuse ou d’adventice.

Pour retourner au nerf sciatique, l’analyse microscopique montre qu’il semble divisé relativement proximalement par des couches épineurales respectives avant même sa division physique en branches fibulaire et tibiale. Cette même analyse microscopique montre que les gaines paraneurales s’enrichissement en tissu adipeux avant de se séparer en branches distinctes.

L’épinèvre et les gaines paraneurales ont des fonctions similaires.

INJECTION INTRANEURALE ?

Le concept « d’injection intraneurale » doit certainement être revisité du fait de la très grande variabilité anatomique entre les nerfs périphériques.

Orebaugh a rapporté que le placement de l’aiguille dans la région interscalénique et l’injection d’anesthésique local (AL) a lieu au sein de l’épinèvre dans 50% des cas. Pour autant, il n’y avait pas de lésion fasciculaire ou axonale et aucune trace de colorant dans les fascicules suggérant que l’aiguille les avaient traversées.

Des progrès doivent être faits pour décrire plus précisément lorsque c’est possible les différentes structures qui entourent les nerfs visés par les ALR à la fois pour éviter les lésions nerveuses tout en restant relativement proche pour en permettre l’efficacité.

 

ANALYSE DE L’ÉDITORIAL DU BJA

La résolution des appareils d’échographie que nous utilisons en pratique clinique pour la réalisation des blocs nerveux est de l’ordre de 300 μm. Elle ne nous permet pas d’identifier des structures d’intérêt, notamment l’épinèvre et les gaines périnerveuses.

La position exacte de l’aiguille est donc difficile à établir, la localisation de la diffusion de l’AL est souvent imprécise et sa diffusion tridimensionnelle local est encore impossible.

En comparaison, la micro-échographie haute résolution (= 75 μm) et de nouvelles méthodes histologiques ont mis en évidence :

  • Différents types de fibres collagéneuses, de compartiments graisseux et de microvascularisation perinerveux,
  • La relation dynamique entre l’aiguille et le nerf lors de la réalisation de l’ARL.

UNE ANATOMIE BEAUCOUP PLUS RICHE QU’ESTIMÉE

Voici l’image d’un nerf sciatique humain à mi-cuisse.

Comme vous le savez, bien que le nerf sciatique soit un nerf à part entière, il est déjà divisé en futur nerfs tibial et fibulaire commun très haut au niveau du membre inférieur (j’en parlerai dans un autre post).

Sur cette première image les lignes bleues correspondent à de l’épinèvre qui entoure tout le nerf sciatique mais aussi de l’épinèvre ou gaine périneurale à l’intérieur du nerf sciatique autour des futurs nerfs tibial et fibulaire commun.

Sur la deuxième image, identique à la première, on peut noter la multitude de compartiments graisseux péri et intranerverveux existants. Ce sont les endroits dans lesquels l’AL pourra être injecté. On comprend aisément qu’en fonction du ou des compartiments graisseux emplis, les effets produits de l’ALR seront différents notamment en rapidité et durée d’action.

NOTION FONDAMENTALE

L’injection périneurale d’AL dans un compartiment graisseux extraneural génère de faibles pressions hydrostatiques (~20-50 kPa), qui ouvrent les jonctions lipoprotéiques et séparent les adipocytes suffisamment pour permettre la circulation.

Le flux est limité à l’intérieur des compartiments mais pas entre eux, et la diffusion se poursuit jusqu’à ce que la pression ne puisse plus briser les interactions lipoprotéiques des différents compartiments graisseux.

Sans adipocytes autour du nerf, le bloc nerveux n’est pas possible, car l’AL ne peut pas circuler à travers les fibres de collagène. Les solutions d’AL ne peuvent circuler près du nerf que via un chemin qui s’ouvre entre les adipocytes.

RÉSISTANCE RELATIVE DE L’ÉPINÈVRE

La diffusion d’AL autour du nerf est obtenue par l’injection dans le compartiment graisseux perinerveux.

Si le biseau de l’aiguille appuyé contre l’épinèvre (car trop proche) et que l’AL est injecté contre les fibres de collagène, le flux se produit de préférence là où la résistance est moindre dans un compartiment graisseux qui pourrait être à l’extérieur ou à l’intérieur du nerf.

Les variations dans la diffusion et la pression d’injection à l’extérieur du nerf peuvent être attribuées à la taille de l’orifice de l’aiguille et au degré d’obstruction de celle-ci par le tissu de collagène.

Étant donné que la plupart de la pointe de l’aiguille se situe à l’extérieur du nerf, le volume injecté donne lieu au « donut » à l’intérieur des compartiments graisseux périnerveux, mais aussi, de manière minime, dans les compartiments graisseux intranerveux et entre les fascicules.

Même si l’approche périnerveuse respectant l’épinèvre est atteinte, un léger mouvement de l’aiguille peut involontairement pénétrer cet épinèvre, et l’injection se fait alors de manière intraneurale sans gonflement visible du nerf, car le volume injecté est trop petit pour être détecté par l’équipement échographique standard.

Pourtant, la micro-échographie a capturé ce phénomène sous la forme d’une mince expansion circonférentielle, subépinéurale, invisible à l’œil nu. Dans de telles circonstances, la latence et la durée du bloc sont encore améliorées.

L’hypothèse émise dans cet éditorial est donc la suivante : si et quand l’AL pénètre en subépineural, le bloc nerveux est encore plus efficace sans conséquences néfastes tant que l’injection est effectuée avec de faibles pressions.

DE L’IMPORTANCE DU BISEAU DE L’AIGUILLE

Que ce soit chez l’adulte comme chez l’enfant, ce sont les aiguilles à biseau court (25-35°) qui sont recommandées pour la réalisation des bloc nerveux. Ces aiguilles provoquent non seulement moins de lésions nerveuses mais respectent mieux l’épinèvre voire le périnèvre.

La microscopie électronique à balayage a montré que l’endonèvre est une structure rigide qui présente une résistance élevée à l’insertion d’aiguille. Comme pour les nerfs, les fascicules ou leurs faisceaux tournent en réponse à l’insertion de l’aiguille. Si la pointe d’une aiguille devient partiellement incrustée dans le périnèvre, l’AL s’écoule dans les tissus adipeux environnants de moindre résistance.

Plus l’orifice de l’aiguille est obstrué par le fascicule, plus la pression est élevée, et vice versa. Ainsi, la pression d’injection ne représente pas la pression d’ouverture de l’anesthésique local entrant dans le nerf, mais la pression nécessaire pour surmonter la résistance au niveau de l’orifice de l’aiguille et pour s’écouler dans les espaces remplis de graisse.

DE NOUVELLES DONNÉES HISTOLOGIQUES

L’histologie utilisant du sang hépariné comme marqueur de la diffusion compartimentale montre de manière constante l’absence complète de marqueurs dans les fascicules, malgré l’injection de volumes de 20 ml dans des nerfs sciatiques de cadavres frais à des taux d’injection élevés.

Le sang hépariné se diffuse entre les couches du périnèvre et dans les septas du périnèvre qui poussent vers le centre des fascicules. Les marqueurs traditionnels comme l’encre de Chine fournissent des images fausses de l’injection intrafasciculaire, car ils donnent l’impression que le colorant est entré dans le fascicule alors qu’il se répandait en fait dans les septas du périnèvre sans entrer en contact direct avec les axones.

Contrairement à ce que l’on pensait, comme les nerfs, les fascicules possèdent également une couche protectrice semblable à l’épinèvre, et les adipocytes ne sont pas en contact direct avec le périnèvre. Ainsi, les fascicules ont une protection supplémentaire, comme un nerf composé de fascicules individuels. Plutôt que d’être un simple regroupement de fibres, le nerf doit être considéré comme la somme d’un certain nombre de petits nerfs complets (fascicules uniques) avec leur propre enveloppe protectrice de collagène.

REMISE EN CAUSE DE LA SIGNIFICATION DE LA PRESSION D’INJECTION DE L’AL

  1. Les études mécanistiques originelles ont toutes été menées sur de animaux et sont donc difficilement extrapolables à l’humain.
  2. Le calibre des aiguilles utilisées en pratique clinique pour l’ALR sont plus grandes que la section de la plupart des fascicules humains. L’aiguille poussera donc le fascicule plutôt que de le léser, ce d’autant que le biseau est court. L’éditorial, en se basant sur la microscopie électronique à balayage affirme l’incapacité des aiguilles à pénétrer le périnèvre et donc la diffusion intrafasciculaire.
  3. Quel que soit le milieu d’injection, le faire avec une haute pression ne peut être que délétère ce d’autant qu’il est confiné comme un nerf. Ainsi le monitorage de la pression mesure le cas échéant une mauvaise pratique sans rien offrir pour la prévenir.

CONCLUSION

  • Le bloc nerveux dépend de la position précise de la pointe de l’aiguille et dans quels compartiments graisseux l’AL est injecté.
  • En cas d’injection intraneurales involontaires, les fascicules sont protégés comme des nerfs entiers, avec des couches d’épinèvre collagéneuses.
  • La position idéale de la pointe de l’aiguille se trouve entre la couche la plus interne du fascia périneural et la couche externe de l’épinèvre. Ainsi, l’AL pourra diffuser dans les compartiments graisseux périnerveux extra-épinèvraux de faible résistance.
  • Cet espace idéal est invisible avec les échographies que nous utilisons, ainsi de nouvelles technologies doivent être développées.

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