CAS CLINIQUE

Patiente de 28 ans se présente au bloc opératoire pour la mise en place élective d’un drain ventriculo-péritonéal dans un contexte d’hypertension intracrânienne idiopathique. Elle présente en plus une obésité morbide avec un BMI à 51 et un Mallampati II.

Après l’induction de l’anesthésie par Propofol et Succinylcholine, une intubation est entreprise avec le vidéolaryngoscope GlideScope (Verathon). Un tube orotrachéal de 6,5 mm est utilisé dans lequel le stylet préformé GlideRite (Verathon) est introduit. Il est possible au bout de quelques instants de visualiser le tube sur le moniteur vidéo. D’ailleurs l’espace glottique est parfaitement visualisé du premier coup mais il est difficile de passer le tube correctement au travers des cordes vocales, premièrement parce qu’il descend difficilement le long de l’oropharynx et deuxièmement parce que son extrémité bute à plusieurs reprises contre l’aryténoïde droite. Les cordes vocales sont finalement franchies avec une rotation de 90 degrés du tube.

Le juste placement du tube est confirmé par l’obtention d’une courbe d’EtCO2 adéquate sur le respiratoire et une auscultation pulmonaire symétrique.

Après la réalisation de la chirurgie et avant l’extubation, une quantité importante de sang frais est relevée lors de l’aspiration de l’oropharynx. L’oropharynx est examiné par l’équipe d’anesthésie avec une laryngoscopie directe douce mettant en évidence une lacération de 3 cm de palais mou à droite. La lésion est finalement suturée par un chirurgien ORL appelé en renfort après la réalisation d’une bonne hémostase.

La patiente est extubée sans problème. Sa consultation de suivi 2 semaines plus tard en consultation ORL montre que la lacération a complètement cicatrisée sans complication.

DISCUSSION

La vidéolaryngoscopie (VL) est devenu un outil incontournable pour le management des voies aériennes dans en cas d’anesthésie programmée qu’en urgence. Une revue systématique Cochrane récente, sur la comparaison de la VL à la laryngoscopie directe (DL) chez les adultes, a montré une réduction significative de l’incidence des échecs d’intubation avec la VL, particulièrement en cas d’intubation difficile suspectée. De plus, la VL était associée à moins de traumatisme des voies aériennes supérieures et moins de raucité de la voix en rapport avec un passage plus délicat des cordes vocales. Cependant, il y a de plus en plus de publications rapportant des traumatismes des voies aériennes supérieures avec différents vidéolaryngoscopes.

Deux écueils cognitifs sont désormais bien connus lors de l’utilisation de la VL. Tous deux peuvent conduire à des traumatismes des voies aériennes supérieures voire à des échecs d’intubation.

Ces écueils prennent naissance lorsqu’une vision parfaite de la glotte sur le moniteur de la VL est obtenue. En effet, obtenir une vue dégagée des cordes vocales, avec une épiglotte parfaitement relevée active, en tout anesthésiste, un sentiment de réassurance, encore plus quand la VL est utilisé pour des voies ariennes suspectes d’être difficile à intuber.

1ER ÉCUEIL COGNITIF

Alors quand le tube descend, apparait sur le moniteur et que pour autant l’intubation de la trachée est impossible parce que l’extrémité du tube bute irrémédiablement sur l’aryténoïde droite ou parce que la lame hyperangulée et son stylet fait que l’extrémité du tube bute contre la paroi antérieure de la trachée dans l’espace juste sous-glottique, le premier écueil cognitif naît.

Paradoxalement, avant de descendre le tube, il faut obtenir 2 deux vues sur le moniteur de la VL.

  • La première vue doit être la meilleure possible. Comme si l’on voulait obtenir un Cormack 1. Cela permet de faire un tour de l’anatomie de l’étage glottique et d’appréhender la descente du tube : position de l’épiglotte, forme de l’épiglotte, taille des aryténoïdes, ouverture des cordes vocales, inclinaison du plan des cordes vocales.

  • La seconde vue est contre-intuitive. En effet, pour l’obtenir il faut retirer légèrement la lame du vidéolaryngoscope en suivant la courbure de la langue pour obtenir sur le moniteur une vue de DL Cormack 2a voire 2b. Ainsi lorsque le tube sera introduit, la courbure spécifique du stylet dans le tube permet d’éviter l’intubation œsophagienne ou la lésion aryténoïdienne.

Voici ce que l’on obtiendrait avec une vue Cormack 1 ou pire en chargeant l’épiglotte avec la lame du vidéolaryngoscope lorsque le tube se présente devant la glotte :

À l’inverse, lorsque l’on recule la lame, qu’on laisse tomber très légèrement l’épiglotte, alors le tube passe tout naturellement entre les cordes vocales :

Dans le blog FOAMem https://www.emnote.org, ce point précis est abordé. C’est le Kovac’s sign, du nom de celui qui l’a décrit. En pratique, s’il est possible de voir l’anneau cricoïdien en dessous des cordes vocales, alors c’est que la lame est trop profondément insérée. Son retrait en suivant la courbure de la langue permettra une insertion du tube beaucoup plus facile. Ce Kovac’s sign est décrit pour les lames hyperangulées, mais cet aspect reste valide pour toutes les lames et tous les vidéolaryngoscopes. Vous pouvez trouver l’article ici.

                            

Ce qui est décrit ici est une habitude à prendre. La plupart du temps, que vous ayez trop profondément inséré votre lame, que l’angulation par rapport à l’inclinaison des cordes vocales soit trop importante ou bien que vous ayez chargé l’épiglotte ne posera aucun problème et vous pourrez intuber facilement la trachée. C’est par contre en adoptant cette manière de faire dès les vidéolaryngoscopies faciles que vous pourrez gérer les difficiles aisément.

Les traumatismes des voies aériennes générés par ce premier écueil sont à la fois sus-glottique (lésions des aryténoïdes, de la bouche œsophagienne, de la paroi postérieure de l’hypopharynx et du larynx), glottique (lésions des cordes vocales, luxation d’une corde vocale) et sous glottique (lésions de la paroi antérieure de la trachée, développement de sténose sous glottique).

2EME ECUEIL COGNITIF

Celui-ci découle également de la laryngoscopie directe. En effet lorsque l’on intube un patient directement, nous avons dans la même vue l’ensemble de la filière respiratoire haute de l’oropharynx jusqu’à la glotte. Ainsi, il est possible, lorsque l’on fait descendre le tube de parfaitement le guider pour éviter de léser les voies ariennes (palais dure et mou, oropharynx, pilier de l’amygdale, amygdale).

Avec la VL, si aucune attention n’est portée à la descente du tube, alors la bonne vision de l’espace glottique sur le moniteur peut non seulement rendre aveugle l’intubateur qui ne prête plus attention à la descente sûre du tube et être source des lésions des voies aériennes citées plus haut mais également rendre l’intubation paradoxalement difficile par un tube qui ne descend pas alors que la vision parfaite des cordes vocales n’appellerait qu’à être traversée.

Je vois parfaitement les cordes vocales, mais je ne parviens pas à descendre mon tube. J’insiste pour le descendre mais n’y parviens toujours pas. J’insiste encore, lèse encore et un peu plus le palais, l’oropharynx et l’hypopharynx, rendant une situation maitrisable en situation franchement complexe.

Ainsi lors de la première insertion de la lame du vidéolaryngoscope, le regard doit se porter d’abord sur la cavité buccale du patient. Et lorsque la pointe de la lame n’est plus visible directement, le regard se porte alors sur le moniteur de la VL pour poursuivre délicatement la descente en observant l’anatomie.

GlideScope propose une très bonne vidéo résumant les 4 points essentiels pour l’utilisation de la VL en évitant ce 2ème écueil cognitif :

  1. Regarder directement la cavité buccale du patient pour introduire la lame,
  2. Regarder le moniteur vidéo pour poursuivre la descente et obtenir la meilleure vue de l’étage glottique (ici c’est bien celle d’une vue Cormack 2a ou 2b dont nous avons parlé plus haut),
  3. Regarder de nouveau directement la cavité buccale du patient pour introduire le tube délicatement jusqu’à ce qu’il apparaisse sur le moniteur vidéo,
  4. Regarder de nouveau le moniteur vidéo pour intuber la trachée.

L’article de Van Zundert et al décrit cette manière de faire en 4 étapes.

QUE DIT LA LITTÉRATURE

Dans une étude rétrospective, Greer et al ont rapporté une incidence plus importante de lésions de palais mou et de l’oropharynx avec la VL (0,234%) qu’avec la DL (0,015%). Les sites les plus fréquents de lésions étaient les piliers des amygdales et le palais mou et le type de lésions le plus commun était l’abrasion plus ou moins profonde des tissus mous.

Les piliers amygdaliens sont particulièrement susceptibles d’être lésés par le tube, surtout lorsque le stylet est à l’intérieur, lorsqu’ils sont étirés par l’application d’une force excessive par l’intubateur, incapable de faire apparaitre sur le moniteur vidéo l’extrémité du tube (2ème écueil cognitif).

La plupart des tubes sont manipulés avec la main droite, ainsi les lésions palatines se retrouvent surtout du côté droit. Pham et al ont rapporté 9 cas de lésions du palais mous après VL, avec 6 cas impliquant des lésions de l’arc palatoglosse droit. 3 patients avaient besoin d’une réparation chirurgicale du palais mou, sans complications perdurant en post-opératoire.

Les lames de vidéolaryngoscopes hyperangulées telles que celles du GlideScope nécessite l’utilisation d’un stylet rigide dont la courbure suit précisément celui de la lame. L’utilisation de ces stylets rigides, tel que le GlideRite, augmente significativement le risque de lésions des voies aériennes supérieures.

Une alternative peut donc être de façonné le tube avec un stylet malléable pour diminuer l’incidence de ces lésions. Ces stylets malléables sont aussi efficaces que le GlideRite lorsqu’ils sont utilisés par des anesthésistes expérimentés.

Le stylet d’intubation S-guide (VBM Medizintechnik Gmbh) est dans cette indication très intéressant. En effet, il est malléable, et possède une extrémité souple atraumatique en forme de crosse de hockey.

La plupart des cas de lésions des voies aériennes dues à la VL décrites dans la littérature ont de bonnes résolutions, soit par un management conservateur, soit par des sutures chirurgicales. Pham et al ont suggéré une évaluation facile par un chirurgien ORL et une prise en charge chirurgicale des lésions les plus importantes (large plaie, perforation). De la même manière, ils recommandaient une couverture antibiotique lorsque les plaies étaient supérieures à 2 cm et/ou qu’elles avaient été suturées.

CONCLUSION

  • La majorité des lésions oropharyngées et laryngées en lien avec l’utilisation de la VL ont de bonnes évolutions, certaines étant traitées conservativement quand d’autres nécessitent une prise en charge chirurgicale.
  • Il est nécessaire de manipuler délicatement le vidéolaryngoscope et le tube pour ne pas provoquer ces lésions.
  • Une attention particulière doit être portée aux écueils cognitifs de la VL :
    • Je dois obtenir la meilleure vue possible pour intuber (équivalent Cormack 1 sur le moniteur vidéo) → Au contraire, je recule délicatement la lame en suivant la courbure de la langue (pour obtenir un équivalent de vue Cormack 2a voire 2b).
    • Je vois parfaitement l’espace glottique, le plus dur est fait, je n’ai plus qu’à glisser rapidement le tube entre les cordes vocales → Je dois quitter le moniteur vidéo des yeux lorsque ma lame de vidéolaryngoscope est placée pour voir directement entrer mon tube dans l’oropharynx jusqu’à ce que son extrémité disparaisse de ma vue pour réapparaitre sur le moniteur vidéo.

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