J’ai suivi récemment un e-learning s’intitulant « Gestion des facteurs humains lors des activités à risques » proposé par CESIM Santé, le centre de simulation et de recherche de l’Université de Bretagne Occidentale et du Centre Hospitalier Régional Universitaire de Brest.
Je vous conseille vivement cette formation car elle aborde de manière simple et didactique la notion de facteurs humains dans les organisations à risque mais surtout parce qu’elle offre de nombreuses références complémentaires dans le domaine, permettant d’enrichir ces enseignements et d’aller plus loin sur les points qui intéressent.
Parmi les références complémentaires qui ont particulièrement retenu mon attention il y en a 3 :
- La découverte de Sidney Dekker et de son livre que j’ai littéralement dévoré « The Field Guide to Understanding “Human Error”». Cet ouvrage permet de plonger dans les notions de facteurs humains, de gestion des erreurs dans les organisations à risque mais ouvre aussi un chemin vers un management humain plus bienveillant en plaçant justement l’être humain au centre des réflexions non pas pour le contrôler davantage mais pour améliorer l’environnement dans lequel il travaille.
- La notion de « Normalisation de la Déviance » comme source infinie de survenue de risques et donc d’erreur, certainement encore plus en médecine aiguë.
- Et la raison de ce nouveau post, à savoir la nécessité d’un followership exemplaire pour permettre un leadership efficace.
Récemment alors que j’arrivais dans la salle de pause du bloc opératoire pour déjeuner, j’ai surpris la conversation d’infirmiers anesthésistes qui discutaient de ce qu’était, pour eux, un bon médecin anesthésiste en situation de crise.
Mesures barrières des temps COVID obligeant, j’étais assis à distance ce qui ne m’a pas empêché de pouvoir écouter ce qui se disait. Me voyant intéressé, ils m’ont posé la question de savoir ce que, pour moi, était un bon infirmier anesthésiste dans les mêmes conditions.
En résumé, ma réponse a été qu’un bon infirmier dans un contexte de situation de crise était surtout un infirmier qui pourrait être SOUTENANT des décisions qui devraient être prises. On le sait, il y a toujours plusieurs manières de faire les choses, mais quand une en particulier est choisie alors tout doit être mis en œuvre par l’équipe pour l’appliquer, la soutenir, l’expérimenter et l’adapter. Si l’on devait traduire en anglais le néologisme de SOUTENEUR, on pourrait pencher vers SUPPORTER au sens de celui qui apporte son soutien. Car en effet, dans les traductions en français de FOLLOWER, on retrouve SUIVEUR, DISCIPLE, PARTISAN, ADMIRATEUR voire SERVANT ce qui, on est bien d’accord, ne rend pas grâce à ceux qui dans une situation aiguë critique apportent leur soutien au leader.
Au même titre que je suis profondément convaincu que le rôle de leader n’est pas la chasse gardée du médecin, celui de follower n’est pas non plus un rôle qu’uniquement les infirmiers doivent endosser.
Dans le e-learning de CESIM Santé, dans je vous parlais plus haut, cette notion de followership est abordée en miroir du leadership. Et dans nos systèmes de santé, souvent en surchauffe, où la possibilité qu’un soignant, médecin ou infirmier, puisse être présent pour diriger sans participer, n’est clairement pas toujours possible, c’est donc surtout le followership qui a retenu mon attention.
Dans ce post, donc, je vous propose de l’expliquer plus précisément telle que décrit dans l’article intitulé « Followership : the forgotten part of leadership » de Andrew Gibbons dont je vous mettrai le lien dans les références.
Dans notre formation de soignant, nous passons une grande partie de notre activité en tant que follower, dans le sens que nous apprenons la pratique de personnes plus expérimentées et expertes que nous, que nous suivons ses pas tel que nous le ferions dans l’apprentissage d’une nouvelle danse. Même lorsque nous sommes diplômés (et vaccinés j’espère!!!), les périodes passées dans cette position sont encore fréquentes, surtout dans les situations critiques de la médecine aiguë qui peut rameuter du monde.
La réussite d’une équipe est indissociable de l’efficacité de son leader, on est bien d’accord, mais repose surtout sur les membres qui soutiendront son leadership. Malheureusement, le terme de follower ou suiveur est péjorativement connoté ne permettant pas toujours de s’épanouir dans ce rôle pourtant essentiel.
LA DÉFINITION DU FOLLOWERSHIP
Voici la définition du FOLLOWERSHIP donné dans l’article en question :
- Le followership est la réponse des personnes se trouvant dans une position de “subordonné” à ceux qui sont dans celle de sénior,
- C’est une relation sociale entre le leader, les « suiveurs » et le groupe,
- Ce n’est ni un asservissement ni une obéissance passive aux ordres,
- C’est plutôt un processus par lequel les followers s’engagent dans un mode de pensée critique constructif où ils interagissent et soutiennent le leader dans l’accomplissement d’une tâche
- Les bons followers sont responsables de leurs actions, peuvent influencer et modeler la vision du leader
- Et lorsque c’est nécessaire, ils peuvent même se substituer au leader.
Il existe différents types de followers et l’un des rôles importants du leader est de connaitre à quels types appartiennent les membres de son équipe pour correctement les manager. Ceci va aussi dans le sens où dans le contexte actuel, la mode managériale veut que tout le monde puisse remplacer son voisin. Plus d’attention pourrait être donnée, lorsque c’est possible, au fait de préserver des équipes pour qu’elle se connaissent et ensemble se transcendent.
Mais la démarche doit surtout être personnelle, pour savoir quel est notre propre type de followership pour connaître les écueils dans lesquels il ne faut pas tomber et même adopter de nouveaux comportements.
LES FOLLOWERS NOCIFS
LE FOLLOWER PASSIF
- C’est le mouton dans le sens négatif du terme.
- Il est peu engagé dans la tâche,
- Et n’applique pas un mode de pensée critique indépendant.
- Il nécessite une remotivation constante et peut ainsi épuiser le leader et le reste de l’équipe.
LE FOLLOWER CONFORMISTE
- C’est le Yes Man.
- Il soutient la tâche et le leader et est motivé,
- Mais n’évalue pas de manière critique ce qu’il fait ce qui lui empêche de considérer des options alternatives ou de prendre des décisions.
- Il nécessite d’être questionner mais restera toujours un allié précieux et fiable pour l’exécution de la tâche.
LE FOLLOWER ALIÉNÉ
- Il a un mode de pensée critique très (trop) développé,
- Mais n’est pas suffisamment engagé dans la tâche.
- Il fait preuve de scepticisme et peut freiner par son comportement et ses réflexions l’avancée de l’équipe alors que sa pensée critique est productrice de bon élément.
- C’est certainement le plus difficile à gérer, car son intelligence attire l’écoute mais sa réticence à passer à l’action mine le groupe.
LE FOLLOWER PRAGMATIQUE
- C’est le Survivor.
- Celui-là voyage entre les différents types au cours de la réalisation de l’action.
- Il fait ce qu’il doit faire pour s’en sortir et il atteint le niveau nécessaire « juste assez » pour contenter le leader.
LES FOLLOWERS EXAMPLAIRES
- Il applique un mode de pensée critique constructif et interagit avec le groupe et le leader.
- S’il est d’accord avec la course de la tâche, il supporte le leader à 100%.
- S’il n’est pas d’accord, au contraire, il challenge le leader lui offrant des alternatives constructives afin de l’aider à atteindre le but fixer.
- Vous l’aurez compris, on veut tous être celui-là, ce qui n’est évidemment pas le cas.
Pour cela, il faut enseigner ce followership idéal.
Robert Kelley identifie 4 qualités obligatoires du follower efficace :
- Un bon follower est capable de penser par lui-même afin que le leader puisse lui déléguer en toute sécurité du travail. Il ne se sent pas impuissant dans sa position car il est conscient de sa valeur ajoutée dans la réalisation de la tâche. Il montre quelquefois son désaccord, notamment lorsqu’on lui confie des tâches qui sont largement à leur mesure. Il doit alors communiquer car il apprécie que son travail soit également orienté vers le bien de l’équipe.
- Il est engagé dans l’objectif fixé. Son engagement est souvent contagieux, ce qui renforce son implication.
- Il construit ses compétences et concentre ses efforts pour un maximum d’impact. Si quelqu’un d’autre est mieux qualifié pour une mission, il va discuter, mais il est prêt à assumer des responsabilités supplémentaires.
- Il est compétent, honnête et digne de confiance. Il est prêt à admettre ses erreurs et à partager ses réussites. Il prend position pour ses croyances éthiques.
Le followership ne réside pas uniquement dans les individualités qui soutiennent le leader au sein d’une équipe. Il est également question de la relation entre ces individualités et leur leader.
C’est ainsi que le leader pour créer un environnement propice à l’épanouissement d’un followership exemplaire doit se préparer à :
- Expliquer pourquoi
- Encourager le speaking-up
- Rechercher un feedback régulier de son équipe
- Déléguer de l’autorité pour responsabiliser, car comme le dit Sidney Dekker, sans cela, sans la capacité à agir directement et librement sur son environnement il est difficile pour ne pas dire impossible de se sentir responsable
- Connaître et utiliser les expertises présentes au sein de l’équipe
- Diriger par l’exemple
- Connaître (et aimer) son équipe
- Partager les honneurs avec la totalité de l’équipe.
CONCLUSION
Le follower efficace se construit dans la juste perception de son propre rôle. Il internalise sa motivation, ce qui lui évite de consumer son énergie. Les followers ont un rôle qui exige beaucoup des caractéristiques identiques au leadership, il est en effet essentiel d’avoir des followers efficaces pour la réussite de la tâche surtout lorsqu’elle est complexe et à risque comme en médecine aiguë. Il est exemplaire, c’est-à-dire actif et autonome. Il s’agit d’un penseur critique et qui assume les risques. Il sait contester les décisions quand il le faut et ne nécessite pas de leadership constant.
Pourquoi cette notion de followership m’a autant touché. Parce qu’elle a mis des mots sur des sentiments que j’ai depuis de nombreuses années, d’abord en tant qu’apprenant et donc follower mais également aujourd’hui en tant que sénior et donc leader.
J’ai toujours eu l’impression que les bons leaders sont de bons followers et inversement. Et notamment que dans la réalisation de tâches complexes et critiques dans un contexte aigu source d’une charge mentale importante, la possibilité d’un leadership dynamique qui passerait d’un individu à l’autre pourrait améliorer l’efficience de la réalisation des tâches auxquelles nous sommes confrontés.
À méditer et à discuter au sein de nos équipes.
LES RÉFÉRENCES
- Robert Kelley, “The Power of Followership: How to create leaders people want to follow and followers who lead themselves”, New York: Doubleday
- https://www.medicalprotection.org/malaysia/casebook/casebook-may-2013/followership-the- forgotten-part-of-leadership
- Kellerman B, Followership: How Followers Are Creating Change and Changing Leaders, Harvard Business School Press, 2008.
- Gibbons A, Bryant D, Followership: the forgotten part of doctors’ leadership, BMJ Careers, 19 Oct 2012. http://careers.bmj.com/careers/advice/view-article. html?id=20009342.
- https://cesim-sante.airteach.co/m/gestion-des-facteurs-humains
- https://www.cesim-sante.fr
- https://www.youtube.com/watch?v=Fw3SwEXc3PU
- https://www.youtube.com/watch?v=8R8nuAqpq-g
- https://www.youtube.com/watch?v=rUmnI3Nq3V4
- https://www.youtube.com/watch?v=crENdW2cGeU
- https://www.youtube.com/watch?v=CwJePfJYcg8
- https://www.youtube.com/watch?v=JNOUO_zZ_kg