CONTEXTE

Vous avez certainement eu l’occasion de lire l’étude de Casey parue dans le New England Journal of Medicine en février 2019 : Bag-Mask Ventilation during Tracheal Intubation of Critically Ill Adults.

Si vous ne l’avez pas fait, allez-y, elle en vaut le coup.

Si vous voulez encore allez plus loin, alors allez faire un tour sur emcrit.org pour lire leur post du 19 février 2019 intitulé : Is pure RSI a fail paradigm in critical illness ? The primacy of pressure. Comme toujours leur post est d’une grande qualité scientifique en reprenant la physiologie du problème médical qu’il aborde, il reviewe les articles phares traitant du sujet et il propose un algorithme de prise en charge… En plus de cela la lecture critique de l’étude de Casey est très juste.

Nous avions abordé dans BLOCKCHOC en juin 2018 cette question de la ventilation au cours de l’induction de l’anesthésie en séquence rapide en vue de l’intubation dans un post intitulé : Rapid Sequence Induction : Et si on ventilait ? Dans ce dernier nous abordions cette question sur le plan du risque de distension gastrique par la ventilation avec la régurgitation massive potentiellement catastrophique qui pourrait en résulter. La correspondance de la European Society of Anesthesiology de Brown et Warret montrait que les opérateurs experts (anesthésistes et intensivistes adhérant à la Difficult Airway Society anglaise) réalisaient la ventilation durant l’induction en séquence rapide « occasionnellement » dans 67% des cas, « fréquemment » dans 6% des cas et « toujours » dans 3% des cas. Ces chiffres montraient bien à l’époque (avril 2015) que cette pratique était loin d’être anodine.

Les propositions de BLOCKCHOC en 2018 étaient les suivantes :

  • Déterminer les patients qui pourraient bénéficier d’une ventilation pendant la RSI
  • Faire de la préoxygénation une priorité absolue
  • Se préparer à faire face à une régurgitation massive
  • Adapter la technique de ventilation en pression positive pendant la RSI
  • Utiliser la pression cricoïdienne

PROPOSITION

Dans la suite de ce post, nous trouvons intéressant de reprendre les points de physiopathologie abordés dans le post de emcrit.org en les précisant et développant au contexte des soins intensifs et de l’anesthésie. Pour les urgences, emcrit.org l’aura fait bien mieux que nous…

RAPPELS PHYSIOPATHOLOGIQUES DE EMCRIT

PHYSIOLOGIC SHUNTING

La préoxygénation et le temps avant d’observer une désaturation en découlant est calculé pour des adultes sains sans shunt physiologique.

Chez le patient de soins intensifs, un shunt existera généralement avant l’induction (atélectasies, pneumonie, OAP) et s’aggravera pendant la phase apnéique en raison d’une sensibilité du poumon à s’atélectasier encore plus.

COMBATTING ATELECTASIS

Le meilleur moyen de le faire est de délivrer une pression positive.

Comme décrit dans notre post de juin 2018, l’intubation d’un tel patient aux soins intensifs ou au bloc opératoire est beaucoup plus facile qu’aux urgences.

En effet nous avons des ventilateurs disposant de modes permettant de ventiler en pression VS-PEEP-AI lorsque le patient respire encore seul.

La PEEP permet en recrutant du poumon et en empêchant son dérecrutement une meilleure oxygénation et l’AI permet quant à elle de soutenir le travail respiratoire du patient pour permettre une ventilation minute adaptée.

  • La PEEP devra être la plus élevée possible. Dans un contexte de patient en détresse respiratoire, une valeur de 5-6 cmH2O semble déjà intéressante. Si le patient la tolère, elle pourra toujours être augmentée jusqu’à 10 cmH2O
  • L’AI inspiratoire dans ce cas de la préoxygénation avant RSI pourra être réglée pour débuter à 12 cmH2O. Si le patient la tolère, elle pourra toujours être augmentée en prenant garde au fait que dans cette phase c’est l’application d’une PEEP qui doit être la priorité. Ainsi l’augmentation de l’AI ne doit pas se faire au détriment de la tolérance du mode VS-PEEP-AI.

Une fois que le patient passera en apnée sous l’action de l’hypnotique puis du curare, ces mêmes respirateurs pourront passer automatiquement sur un mode de ventilation en pression contrôlé après une temps d’apnée, une fréquence et une pression inspiratoire réglables.

  • Le temps d’apnée est généralement de 15 secondes mais il peut tout à fait être raccourci à 5 secondes par exemple.
  • La fréquence respiratoire peut dans ce cas de la RSI être réglée à 10 /min.
  • La pression inspiratoire pourra être réglé à 10-15 cmH2O. Le volume courant ainsi obtenu ne sera pas toujours optimale mais la préoccupation dans ce cas sera bien plus l’oxygénation que la décarboxylation.
  • La PEEP quant à elle pourra être augmentée jusqu’à 10 cmH2O pour permettre la meilleure oxygénation tout en luttant contre le dérecrutement alvéolaire.

VENTILATION DURING INDUCTION IS NEARLY ALWAYS IRRELEVANT

Si par ventilation, nous entendons ici décarboxylation, alors oui, la ventilation au cours de la RSI n’est vraiment pas la priorité. Toute l’attention doit être portée sur l’oxygénation.

Quand le patient est totalement en apnée, sa PaCOaugmentera de 1,8 mmHg (ou 0,24 kPa). Dans l’étude de Casey, le temps d’apnée (temps entre l’induction et l’intubation trachéale) que ce soit dans le groupe Bag-Mask Ventilation ou dans le groupe contrôle était de 2 minutes (quand même long…).

Ainsi, sans ventilation pour permettre une décarboxylation, la PaCOn’augmente donc que de 4 mmHg (ou 0,53 kPa), ce qui dans une grande majorité des cas peut être tout à fait négligé.

Pour en revenir à nos réglages ventilateur, cette notion confirme le fait que l’AI durant la préoxygénation n’a pas besoin d’être élevée au risque de compromettre l’utilisation de ce mode de ventilation en pression positive et pendant la phase apnéique, une fréquence de 10 /min avec une pression inspiratoire de 10-15 cmH2O maximum semblent adaptées.

BAG-MASK VENTILATION DURING INDUCTION PROVIDES GOODNESS BY DELIVERING PRESSURE

Dans le post d’emcrit.org, ils insistent sur l’importance d’utiliser une « PEEP valve » sur le ballon. Dans notre propos, la question ne se pose pas puisque le respirateur délivre la PEEP sur demande. Par contre, emcrit.org propose une superbe vidéo comparant deux régimes de ventilation mettant en avant la notion de pression moyenne des voies aériennes :

  • Une pression de crête élevée sans PEEP ne permet pas de garder les poumons « ouverts »
  • Une pression de crête plus basse associée à une juste PEEP permet bien mieux de prévenir les atélectasies.

THE ANATOMY OF PASSIVE REGURGITATION

J’ai assisté récemment à un topo sur la position dans laquelle positionner le patient à risque de régurgitation massive. En décubitus dorsal strict, en proclive ou en déclive.

Nous restons convaincus chez BLOCKCHOC qu’à défaut de réponse stricte, se baser sur la physiologie est une bonne manière d’apporter une réponse. Ainsi, la position proclive est pour nous certainement la meilleure position dans ce cas comme nous l’écrivions dans notre post de 2018.

C’est cette position que propose d’adopter emcrit.org.

Un bémol cependant. La mise en Tredelenburg doit bien sûre être vérifiée mais doit surtout être rapide. Ce n’est pas toujours le cas tant pour les lits les plus récents des soins intensifs ainsi que pour les plus jeunes tables au bloc opératoire. Le bénéfice-risque, selon nous, penche malgré tout en faveur d’une position proclive.

CONCLUSION

L’article de Casey met encore un peu plus l’absence de ventilation au cours de la RSI en question. Les limites de leur étude sont nombreuses mais cette dernière est plutôt bien construite et à l’avantage d’apporter au débat un travail contrôlé et randomisé. L’outcome principal était la désaturation mais l’étude met en évidence l’absence d’augmentation du nombre d’inhlataion dans le groupe où une ventilation était entreprise durant la RSI.

Cette étude ainsi que le brillant post de emcrit.org permet selon nous d’apporter plus d’évidence pour permettre à chacun d’adapter sa pratique pour la préoxygénation et la prévention de la désaturation des patients de soins intensifs nécessitant une RSI.

3 thoughts on “VENTILATION DURANT L’INDUCTION EN SÉQUENCE RAPIDE : UNE ÉTUDE DANS LE NEW ENGLAND À LA CLÉ

  1. hello comme toujours je viens faire le poil à gratter, quid de la pression cricoide ? même après IRIS trial ? personnellement je n’adhère pas à cette pratique

    1. Salut Rémy,
      C’est une bonne remarque…

      Je pense honnêtement qu’il n’y a pas de bonne réponse, même après l’étude IRIS.
      Personnellement, je ne l’appliquais pas. Parce que je n’ai jamais travaillé dans un endroit où c’était la pratique standard et parce qu’on m’a appris au contraire à ne pas le faire en raison des risques éventuels.

      Maintenant, quand je me suis intéressé à la ventilation pendant la séquence rapide, je me suis aperçu que beaucoup prenait la question de la pression cricoïdienne à l’envers (dont moi).

      Sellick dans sa description de 1961 propose de l’appliquer plus pour limiter l’insufflation de gaz dans l’estomac que pour éviter les régurgitations passives ou les beaucoup plus rares massives. Cela peut sembler évident mais la différence est notable. D’ailleurs, dans son article original, il écrivait “Durant la pression cricoïdienne, les poumons devraient être ventilés par une pression positive intermittente sans risque de distension gastrique”. Sa phrase ne peut être plus claire, il préconise sa manoeuvre pour pouvoir ventiler. Et même la Difficult Airway Society anglaise, qui recommande encore l’application d’un Sellick, s’en sort d’une pirouette lorsqu’on l’interroge, en disant que cette dernière permettrait la ventilation.

      Les travaux de Bouvet de Lyon sont intéressants dans ce contexte pour définir ce qu’est l’application d’une ventilation au masque facial “délicate” pendant la RSI que recommande la DAS. Il montre que lorsque la Valve est fermée à 15 cmH2O, 33% des patients présentaient une distension gastrique à l’écho antrale et que parmi eux 12% n’était pas “ventilés” correctement. Lorsque cette dernière pression était de 10 cmH2O les chiffres étaient respectivement les suivants : 19 et 75%.

      Hors la préoccupation si l’on pratique la ventilation pendant la RSI n’est pas tant…la “ventilation” mais l’oxygénation, comme j’en parle dans ce présent post.

      Ainsi, non je n’appliquerais toujours pas une ventilation pour oxygéner tous mes patients à qui je décide d’une RSI. Non je n’appliquerais toujours pas une manoeuvre de Sellick à tous mes patients à qui je décide une RSI.
      Par contre, pour une catégorie sélectionnée de patient à très haut risque de désaturer mortellement (le patient très fortement hypoxémique, le patient obèse, la femme enceinte et l’enfant) chez qui je décide d’appliquer une ventilation au masque ou au respirateur, je sélectionne une pression positive d’insufflation la plus basse possible (10-15 cmH2O) en ayant la possibilité d’applique un Sellick pour limiter au maximum la distension gastrique.

      Et ce Sellick, je l’applique uniquement une fois que l’hypnotique commence à être efficace (disons 10-15 secondes) pour me permettre de ventiler et je le lève évidemment pour intuber, puisque l’intubation est rendue plus difficile avec.

      Â bientôt.

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