INTRODUCTION

Je parlais récemment avec un collègue de l’importance de posséder des connaissances approfondies sur la ventilation des patients en général et en anesthésie en particulier.

Là où je travaille, les formations d’anesthésie et de réanimation – soins intensifs sont séparées, ce qui fait que parfois des connaissances peuvent manquer par défaut d’exposition à certaines situations pathologiques requérant des réglages ventilatoires spécifiques.

Au cours de cette discussion, nous partagions les questions que nous posions à nos internes pour la formation au lit du malade.

Parmi ces questions, nous posions la même, à savoir, si nous devions ne retenir qu’une différence entre une ventilation contrôlée et une ventilation en Aide Inspiratoire (AI), quelle serait-elle ?

La réponse, c’est que dans un mode en AI, le patient choisi son temps inspiratoire et donc son volume courant (VT). C’est d’ailleurs le seul mode conventionnel dans lequel c’est possible.

La discussion avançant sur cette notion, nous en sommes, évidemment, venus à parler du trigger expiratoire (ou cyclage inspiratoire/expiratoire, cycling en anglais). Cette notion, bien connue des intensivistes, est parfois moins bien maitrisée en dehors des services de réanimation.

L’objectif de ce post est donc de faire un focus très rapide sur le trigger expiratoire et sa spécificité en anesthésie.

DÉFINITION

Le trigger expiratoire est l’élément clé de la ventilation en AI. En effet il s’agit du moment où le ventilateur passe de l’inspiration à l’expiration.

Comme énoncé en introduction, en AI et contrairement à la ventilation contrôlée, le temps inspiratoire n’est pas préréglé, le patient « choisissant » son propre temps inspiratoire et donc son propre VT.

TEMPS INSPIRATOIRE EN VENTILATION CONTRÔLÉE EN VOLUME

En modes volumétriques, tels que la ventilation contrôlée en volume (VC) ou ventilation assistée-contrôlée en volume (VAC), le temps inspiratoire est la résultante directe du rapport entre le volume courant et le débit inspiratoire.

Rappelons que pour les modes volumétriques, le débit inspiratoire est fixe et constant.

Ainsi, en VC par exemple, pour un VT = 500 ml et un débit inspiratoire de 1 l/sec, le temps inspiratoire sera de Ti = 500 ml / 1 l.sec-1= 0.5 sec.

TEMPS INSPIRATOIRE EN VENTILATION CONTRÔLÉE EN PRESSION

En modes barométriques, tels que la ventilation contrôlée en pression (PC) ou ventilation assistée-contrôlée en pression (PAC), les choses sont encore plus simples, puisque c’est le clinicien qui choisit directement la valeur du temps inspiratoire Ti.

Rappelons malgré tout que pour les modes barométriques, le débit inspiratoire délivré est d’emblée maximal puis diminue ensuite. Il est dit décélérant.

RAPPORT INSPIRATION / EXPIRATION EN MODE AI

En mode AI, le passage de la phase inspiratoire à la phase expiratoire se fait donc en fonction du réglage du trigger expiratoire, qui prend en compte la diminution du débit inspiratoire.

Lorsque le débit, toujours décélérant, atteint un certain pourcentage du débit de pointe (25% par exemple), le ventilateur stoppe son insufflation et ouvre sa valve expiratoire pour autoriser l’expiration.

Par défaut, la majorité des ventilateurs de réanimation ont un réglage de valeur de trigger expiratoire à 25 – 30%, censée être la valeur la plus « physiologique » puisque permettant l’obtention d’un rapport I/E à ½.

Voici ici un exemple de réglage de deux triggers expiratoires pour un même patient.

Le premier à 5% entraine donc une ouverture de la valve expiratoire lorsque la valeur du débit décélérant a atteint 5% de la valeur du débit de pointe. Cette valeur de 5% est représentée par les pointillés, proche de la ligne de base.

Cela se traduit donc par un temps inspiratoire plus long (double flèche longue sur la courbe de pression) et par conséquent un temps expiratoire plus court.

Le deuxième trigger expiratoire est lui réglé à 45%, ce qui entraine une ouverture de la valve expiratoire lorsque la valeur du débit décélérant a atteint 45% de la valeur du débit de pointe. Cette nouvelle valeur de 45% est représentée par les pointillés plus éloignés de la ligne de base.

Cela se traduit donc par un temps inspiratoire raccourci (double flèche plus courte sur la courbe de pression). Le réglage plus haut du trigger expiratoire est le seul moyen d’augmenter la durée de l’expiration chez un patient ventilé en mode VS-PEP-AI.

QUELS RÉGLAGES POUR QUELS PATIENTS

Le but de ce post n’est vraiment pas d’approfondir l’adaptation du trigger expiratoire en fonction de la pathologie du patient. BLOCKCHOC avait déjà abordé ce sujet notamment dans la ventilation non invasive (VNI) du patient BPCO et nous y reviendrons nécessairement.

Ici, nous sommes au bloc opératoire, chez des patients le plus souvent intubés ou avec un masque laryngé.

Très grossièrement, il faudra retenir que chez le patient présentant un trouble ventilatoire obstructif (qu’il soit réversible ou non, qu’il soit compensé ou décompensé, tel que l’asthme ou la BPCO), le réglage du trigger expiratoire sera à augmenter (> 40%).

Ainsi la valve expiratoire s’ouvrira plus tôt permettant de raccourcir, chez un patient en AI, le temps inspiratoire. En effet dans ce type de trouble, l’expiration est souvent trop courte avec le risque d’hyperinflation dynamique qui en découle.

À l’inverse, chez le patient présentant un trouble ventilatoire restrictif (tel que la fibrose pulmonaire, les atteintes musculaires ou osseuses), le réglage du trigger se fera plus bas (< 20%). Ainsi le temps inspiratoire sera plus long par une ouverture de la valve expiratoire plus tardive.

SITUATIONS SPÉCIFIQUES À L’ANESTHÉSIE

VENTILATION EN AI AVEC UN MASQUE LARYNGÉ

En cas de fuite importante avec un masque laryngé, il peut être nécessaire d’augmenter le trigger expiratoire. En effet en cas de fuites importantes, qui seraient alors supérieures à 25% du débit de pointe (=débit inspiratoire maximal), le trigger expiratoire ne sera jamais déclenché et l’insufflation se poursuivra jusqu’à atteindre le temps inspiratoire maximal de sécurité réglé par défaut entre 2 et 4 secondes.

L’augmentation de la valeur du trigger expiratoire (cyclage inspiration/expiration) à une valeur de 40 à 50%, permettra de stopper l’insufflation plus tôt puisque malgré les fuites, le débit décélérant atteindra 40 à 50% de la valeur du débit de pointe.

Il faudra également régler le temps inspiratoire maximal de sécurité en cas de fuite sur une valeur proche d’une ventilation « normale », entre 1 et 1,2 seconde.

Ce réglage permettra une nette diminution des fuites et une diminution également du risque d’insufflation gastrique.

Comme nous le disions, la grande majorité des respirateurs de réanimation ont un réglage par défaut du trigger expiratoire entre 25 et 30%. Lors de la discussion avec mon collègue, il a attiré mon attention sur le fait que le trigger expiratoire du Maquet Flow-i était réglé par défaut à 50%. On a eu beau retourner l’info dans tous les sens, nous ne voyions pas d’autres explications d’un tel réglage que de justement prévenir un temps inspiratoire allongé en cas de fuites importantes en cas de ventilation en AI avec un masque laryngé.

Nous pourrions dire merci à Maquet, mais je pense que l’anesthésiste doit au contraire bien maitriser le réglage du trigger expiratoire et choisir consciemment sa juste valeur.

VENTILATION EN AI DANS LE CADRE DE LA PRÉOXYGÉNATION

Delay en 2008 a clairement montré une préoxygénation plus rapide avec une FetOplus importante qu’en ventilation spontanée chez les patients obèses morbides. Dans ce contexte un réglage adéquat du trigger expiratoire à la pathologie du patient afin de limiter les asynchronies patient-ventilateur.

VENTILATION EN AI EN PEROPÉRATOIRE

La ventilation en AI a également des avantages en peropératoire et donc le juste réglage du trigger expiratoire est important.

  • Amélioration de la synchronisation patient-ventilateur, évitant au patient de lutter contre le ventilateur et permettant ainsi de diminuer les besoins en agents anesthésiques,
  • Diminution des atélectasies par le maintien d’une activité diaphragmatique et une amélioration de l’oxygénation des patients en surpoids,
  • Diminution des fuites lors de la ventilation en AI avec masque laryngé.

CONCLUSION

Le trigger expiratoire est donc un réglage essentiel de la ventilation en AI. Cette notion est omniprésente en réanimation pour la juste ventilation des patients en VNI en fonction de leur pathologie pour adapter au mieux le patient au ventilateur.

Son réglage en anesthésie l’est tout autant et doit être une préoccupation pour l’anesthésiste lors de la ventilation du patient en AI.

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