LECTURE RÉCENTE

En parcourant Twitter récemment, je suis tombé sur un commentaire de Rhazelovitch (auteur du blog La Mine) évoquant une étude récente parue dans le Resuscitation Journal en août 2018:

Comme vous pouvez le lire, les auteurs de cet article concluaient en l’absence de différence de fréquence de survenue d’un nouvel arrêt cardiaque, que les patients aient été traités avec un anti-arythmique (Amiodarone ou Lidocaïne) ou avec un placébo.

Le sujet de ce post n’est pas de discuter de la valeur scientifique de l’étude mais plutôt de réfléchir aux thérapeutiques qui pourraient être (encore) utiles dans l’ACR quand celles que l’on tenait pour acquises fondent comme neige au soleil…

Pour introduire mon propos qui va se pencher sur l’Esmolol dans le contexte de l’ACR sur fibrillation ventriculaire réfractaire aux anti-arythmique, commençons par un cas clinique.

CAS CLINIQUE

Femme de 59 ans, aux urgences, en arrêt cardiaque avec une réanimation cardio-pulmonaire (RCP) en cours.

Elle est arrivée à l’hôpital pour une sensation de malaise importante et a présenté une fibrillation ventriculaire (FV) quelques minutes après son admission dans le box.

À notre arrivée auprès d’elle, la patiente avait reçu 6 défibrillations et 4 doses de 1 mg d’Adrénaline et 2 doses d’Amiodarone (300 mg et 150 mg) et l’urgentiste venait tout juste d’administrer 1mg/kg de Lidocaïne.

Pour autant, aucune de ces thérapeutiques n’avait pu stopper la FV.

Y a-t-il une autre drogue qui pourrait être utilisée dans l’espoir d’obtenir un retour à une circulation spontanée (Return Of Spontaneous Circulation = ROSC) ?

FIBRILLATION VENTRICULAIRE RÉFRACTAIRE

La Fibrillation Ventriculaire réfractaire (FVr) est définie comme un FV résistante à au moins 3 défibrillations, 3 mg d’Adrénaline et 300 mg d’Amiodarone sans ROSC après 10 minutes de RCP (1).

La FVr a également été décrite comme une forme grave d’orage rythmique dans lequel des épisodes courts de FV surviennent, se répètent ou persistent malgré plusieurs essais de défibrillation (2).

Bien que l’Adrénaline soit connue pour augmenter la probabilité de ROSC, des taux élevés de catécholamines endogènes ou exogènes ont des effets délétères sur le myocarde via les récepteurs béta1-agonistes (3).

Les effets délétères bien connus sont l’augmentation des besoins du myocarde en oxygène, l’aggravation des lésions ischémiques du myocarde, la diminution du seuil de survenue de la FV et l’aggravation de la fonction myocardique post-réanimation (2).

Il est pensé qu’antagonisé les récepteurs béta du tissu myocardique au cours de l’arrêt cardiaque pourrait diminuer les effets délétères de l’Adrénaline tout en préservant ses bénéfices médiés par les récepteurs alpha (3).

RIEN DE NOUVEAU

Les modèles animaux où les bétabloquants sont utilisés pendant l’arrêt cardiaque ne sont pas nouveaux. Le Propanolol a été étudié dans de nombreux modèles animaux en 1994 suivi par l’Esmolol en 1995. La littérature animale a montré que les bétabloquants réduisent les besoins en oxygène du myocarde, diminuent le nombre de défibrillation, améliore la fonction myocardique post-réanimation, diminuent la récurrence de Tachycardie Ventriculaire (TV) et FV et augmentent la survie (4).

L’Esmolol est préféré au Propanolol étant donné son délai d’action plus court et sa demi-vie très brève permettant ainsi l’absence d’effet bétabloquant prolongé en cas de survenue d’un choc cardiogénique post-réanimation (2).

CASE SERIES CHEZ L’HOMME

2 séries de cas ont été publiées étudiant les effets de l’Esmolol chez l’homme en cas de FVr.

 

La première, publiée en 2014, rassemble 6 patients recevant de l’Esmolol aux urgences et comparés à 19 patients contrôles également en FVr (2). 4 des 6 patients du groupe intervention présentaient un ROSC après 500 mcg/kg d’Esmolol en bolus IV suivi par une administration continue intraveineuse d’au moins 100 mcg/kg/min. Les 2 autres patients du groupe intervention présentaient un ROSC temporaire après l’administration d’Esmolol mais se mettaient de nouveau en ACR et sont finalement décédés.

Les patients recevant l’Esmolol avaient plus de ROSC temporaires que ceux n’en recevant pas (67% vs 42%) et plus de ROSC définitifs (67% vs 32%), quittaient l’hôpital en vie plus souvent (50% vs 16%) et quittaient l’hôpital en vie avec un bon état neurologique plus souvent également (50% vs 11%).

Les auteurs concluaient que les bétabloquants pourraient être utilisés chez les patients présentant une FVr avant que la réanimation soit stoppée (2).

 

La seconde, publiée en 2016, est une étude pre et post-cohorte suivant l’introduction de l’utilisation de l’Esmolol en cas de FVr pour les arrêts cardiaques extrahospitaliers. Les patients recevaient un bolus intraveineux de 500 mcg/kg suivi d’une administration continue de 100 mcg/kg/min chez les patients ne présentant pas de ROSC après au moins 3 défibrillations, 3 mg d’Adrénaline et 300 mg d’Amiodarone. Les patients du groupe Esmolol (n = 16) et du groupe contrôle (n = 25) étaient homogènes. Cependant les détails concernant les temps d’administration de l’Esmolol. Dans le groupe Esmolol, les taux de ROSC temporaire, définitif et de survie étaient plus importants (6).

CONCLUSION

L’Esmolol est un antagoniste béta1 sélectif qui peut atténuer les potentiels effets délétères des hautes doses d’Adrénaline utilisées dans l’arrêt cardiaque tels que l’augmentation des besoins en oxygène du myocarde, l’abaissement du seuil de survenue de FV et l’aggravation de la fonction myocardique post-réanimation. Dans plusieurs modèles animaux et maintenant humains, l’Esmolol a montré augmenter le nombre de ROSC, améliorer la fonction myocardique post-réanimation, diminuer la récurrence des arythmies ventriculaires et, le plus important, augmenter les chances de sortie de l’hôpital avec de bonnes fonctions neurologiques.

Après l’échec des mesures de réanimation standards des patients présentant une FVr (et pourquoi pas des TV sans pouls réfractaires), un bolus intraveineux de 500 mcg/kg d’Esmolol peut être envisagé avec ou sans administration continue, afin d’augmenter les probabilités de ROSC définitif et de survie.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Salcido DD, et al. Effects of intra-resuscitation antiarrhythmic administration on rearrest occurence and intra-resuscitation ECG characteristics in the ROC ALPS trial. Resuscitation. 2018;129:6-12.
  2. Lee YH, et al. Refractory ventricular fibrillation treated with esmolol. Resuscitation. 2016;107:150-155.
  3. Driver BE, Debaty G, Plummer DW, Smith SW. Use of esmolol after failure of standard cardiopulmonary resuscitation to treat patients with refractory ventricular fibrillation. 2014;85:1337-1341.
  4. BET 2: Usefulness of epinephrine in out-of-hospital cardiac arrest. Emergency Medicine Journal. 2016;33(5):367-368.
  5. Oliveira FC, Feitsoa-Filho GS, Ritt LEF. Use of beta-blockers for the treatment of cardiac arrest due to ventricular fibrillation/pulseless ventricular tachycardia: a systematic review. Resuscitation. 2012;83:674-683.
  6. McNally B et al. Out-of-hospital cardiac arrest surveillance — Cardiac Arrest Registry to Enhance Survival (CARES), United States, October 1, 2005–December 31, 2010. MMWR Surveill Summ. 2011;60(8):1-19.
  7. Kudenchuk PJ et al. Amiodarone, lidocaine, or placebo in out-of-hospital cardiac arrest. New England J Med. 2016;374(18):1711-1722.

 

2 thoughts on “ESMOLOL DANS LA FIBRILLATION VENTICULAIRE RÉFRACTAIRE

  1. “4mg d’adrénaline + 6 CEE” => ou bien vous êtes arrivé après une réa très prolongée, ou bien les doses ont été injectées plus fréquemment que recommandées… En tout état de cause, on a tendance, au vu de la littérature actuelle, à imaginer que les hautes doses d’adré n’ont pas été merveilleuses ici….

    1. Bonjour Clément,
      Merci pour votre commentaire.

      Effectivement plus le temps passe, plus les études paraissent et plus l’Adrénaline semble vouloir être poussée au placard.
      Personnellement je pense qu’il ne faut pas encore l’enterrer complètement.

      C’est d’ailleurs l’un des objectifs de ce post.
      À défaut d’une franche alternative encore définie, l’utilisation de l’Esmolol permet ici de limiter ses effets délétères myocardiques avec l’abaissement du seuil de survenue de la FV et son éventuel entretien.
      Après, avoir un coeur qui bat sans un cerveau qui fonctionne a peu d’intérêt pour le patient…

      Dans le cas présenté dans le post, la réa n’était pas si prolongée que ça.
      4 mg d’Adrénaline représentent 16 minutes de réanimation à raison de 1 mg toutes les 4 minutes.
      Si on rajoute les minutes toujours évaporées sur ce type de réa, nous avons dû intervenir environ 20 minutes après le début de l’ACR.

      Là ou je travaille, ce sont les urgentistes qui gèrent les ACR survenant aux urgences.
      Ce qui me semblent d’ailleurs être tout à fait adapté.
      Nous avions été appelé dans le cadre du déclenchement de l’alarme ECMO.
      Dans ce cas, intensivistes et chirurgiens cardiaques rejoignent les urgentistes aux urgences.

      Cette patiente n’a pas eu besoin d’ECMO. Après 40 mg d’Esmolol, un autre mg d’Adré et un nouveau CEE, elle a récupéré un rythme sinusal.
      Elle a eu une coro retrouvant une occlusion de l’IVA proximale. Après traitement elle a été transférée aux soins intensifs.
      Pas de problème sur le plan cardio-vasculaire par contre le réveil n’a pas été optimal avec des séquences neuro-psy non négligeables.

      Ce qui est décrit dans ce post est une attitude à éventuellement utiliser en cas de FV réfractaire.
      Le résultat neurologique chez cette patiente va finalement dans le sens de la littérature récente sur l’Adrénaline.

      En tout cas, on aura encore de quoi écrire beaucoup sur le sujet…

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