L’anglais “Speaking Up” pourrait se traduire par “Prise de position”.

Pourquoi écrire un tel post?

Parce que j’aimerais aborder la communication en situation de crise.

Qu’entendre par situation de crise?

Une situation urgente, certes, mais surtout imprévisible, vectrice d’incertitude, de tension éventuelle entre les membres de l’équipe et par conséquent source d’erreur.

Ce premier post sur la communication en situation de crise se base sur cette notion de “Speaking Up” qui fait référence à une personne dans un rôle de non-dominant ou de non-leader qui exprime une préoccupation ou une suggestion à l’intention d’une personne avec un rôle dominant ou de leader.

Un dernier mot avant de commencer. Il existe peu de chose sur la communication en situation de crise s’adaptant à notre contexte européen et encore moins francophone. En effet la plupart des études s’appliquent pour la médecine anglo-saxonne où les relations au sein des équipes médicales est différente.

Pour avoir travaillé en France et en Suisse, pour avoir discuté longuement avec des collègues belges et luxembourgeois, l’exception francophone existe peut être faisant de la communication en situation de crise une communication surtout non verbale à condition que les membres de l’équipe se connaissent très bien avec une expérience commune de vécu de situations difficiles.

Ainsi, peut être y a t’il un avantage à apprendre de nos collègues anglo-saxons pour intégrer ce qui fonctionne chez eux à notre manière originale et efficiente de faire en Europe.

Introduction sur le Speaking Up

Il est attendu des professionnels de santé qu’ils “prennent position” pour exprimer leur préoccupations avant qu’un événement critique n’atteigne le patient. Cela permet ainsi de changer l’action ou l’intervention avant qu’elle ne soit délétère.

La “prise de position” est un outil de communication indispensable pour maintenir la sécurité des patients dans un contexte de médecine aiguë bien qu’elle soit en réalité assez rare.

Nous devrions toujours plaider en faveur de la sécurité de nos patients et ne jamais quitter une situation en se disant “j’aurais dû dire quelque chose”.

Les patients devraient également être encouragés à “prendre position”.

“Prendre position” nécessite du courage et des aptitudes mais c’est essentiel!!!

Après le très connu “Primum non nocere”, voici le “Primum non tacere” ou “D’abord ne pas se taire”…

C’est important

La culture de de sécurité d’une organisation peut être évaluée par la liberté avec laquelle leurs employés “prennent position” lorsque c’est indiqué.

La “prise de position” est un prédicteur de la performance technique d’une équipe de soins.

L’échec de “la prise de position” est commun :

En 2010 a été publié aux USA l’étude : “The Silence Treatment Study”,

6500 infirmiers(ières) interrogés,

5400 d’entre eux rapportaient que plus de 10% de leurs collègues, parfois, “n’osaient pas prendre position” et que dans 26% de ces cas, le fait de ne pas avoir pris la parole pouvait avoir causé du tort au patient,

Malgré la connaissance des risques, seulement 17% des personnes interrogées “osaient s’exprimer” en situation critique.

Les barrières pour ne pas “prendre position”

Les facteurs individuels

  • Crainte d’avoir tort.
  • Crainte de ne pas s’exprimer de manière efficiente.
  • Ne pas percevoir l’utilité “de prendre position” (“de toute manière, cela ne changera rien”).
  • Manque d’un sentiment de responsabilité vis à vis de la situation ou considérer que ce n’est pas son “job” (Infirmier(ière) des urgences qui regarde l’anesthésiste s’obstiner à intuber dans un contexte d’intubation difficile plutôt que de recommander la crico).
  • Crainte d’être ridiculisé ou de paraître incompétent.
  • Crainte de créer du conflit dans une situation délicate ou de passer pour un fauteur de trouble.
  • Manque de satisfaction dans son travail (les personnes avec un plus haut niveau de satisfaction sont plus enclin à oser s’exprimer).
  • Crainte de ne pas avoir d’impact.
  • Ancienne mauvaise expérience.

Les facteurs liés à la situation

  • Situation peu claire ou ambiguë.
  • Ne pas vouloir interrompre d’autre activité.
  • Surcharge cognitive.
  • Considérer le risque de ne pas s’exprimer comme faible par rapport à la gravité de la situation.
  • Les facteurs personnels et culturels :
  • Manque d’encouragement aux échanges inter-professionnels au sein d’une équipe de soins.
  • Manque de soutien administratif de telle manière de communiquer.
  • Intimidation.
  • Fonctionnement hiérarchique institutionnel très ancré.
  • Différence culturelle et linguistique.
  • Mauvaises attitudes du Team Leader.

Comment “prendre position”

  • L’approche commune de s’exprimer indirectement par des “indices” avec “l’espoir” d’être compris est inefficace voire contre productif.
  • La personne qui s’exprime et “prend position” doit le faire de manière assurée.
  • Il faut se concentrer sur le problème et éviter de chercher à savoir qui a tort ou raison.
  • Toujours être respectueux.
  • S’affirmer de manière progressive est efficace.
  • L’approche en deux temps est une alternative.
  • S’il y a du temps, commencez en questionnant plutôt qu’un contredisant en adoptant un langage corporel et un ton de voix adaptés.
  • Dans le contexte de l’urgence, pas de temps pour les gentillesses…

S’affirmer de manière progressive

Définition

L’affirmation progressive de son point de vue permet au “junior” de s’exprimer en évitant le conflit ou la création d’une attitude de défense et lui permet également d’escalader si nécessaire.

Cela donne aussi la possibilité au “sénior” de corriger toute erreur ou mauvaise interprétation en sauvant la face.

L’approche SACA

  • SONDER. Ex : “Avez vous cette donnée?, Je ne comprends pas pourquoi vous voulez faire ceci…”.
  • ALERTER. Ex : “Je pense que si l’on fait ça, il pourrait survenir…”.
  • CHALLENGER. Ex : “Votre approche va nuire…”.
  • ACTION D’URGENCE. Ex : “STOP!!! Arrêtez ce que vous êtes en train de faire!, Pour la sécurité du patient nous devons faire…”.

L’approche CISS

  • CRAINTE. “Je crains que ce ne soit pas la bonne action”.
  • INCERTITUDE. “Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne action”.
  • SÉCURITÉ. “Cette action n’est pas sécure!”
  • STOP. “STOP!!! Arrêtez cette action tout de suite!!!”.

Le plaidoyer en 5 étapes

  • Capter l’attention : “Excusez moi Docteur”.
  • Établir votre préoccupation : “Le patient est hypotendu”.
  • Décrire la situation telle que vous la voyez : “Il nous faut de l’aide maintenant!”.
  • Proposer une solution : “J’appelle l’anesthésiste pour cette intubation difficile”.
  • Obtenir une confirmation : “Cela vous semble t’il adéquat?”.

L’approche en deux temps

Le premier temps consiste en un temps d’évaluation et de questionnement.

“Je vois que vous voulez utilisez du Suxaméthonium pour l’intubation en séquence rapide de ce patient admis pour brûlures étendues. Mais il a une kaliémie à 5.8 mmol/L. J’ai appris que le Suxaméthonium augmente la kaliémie et qu’il est préférable dans ce cas d’utiliser un curare non dépolarisant. Pourriez vous m’éclairer?”.

Si vous n’obtenez pas de réponse satisfaisante alors se présente le deuxième temps de l’approche comprenant une réévaluation et une proposition alternative.

“Je vois que vous voulez toujours utiliser du Suxaméthonium pour l’intubation de ce patient mais comme je vous le disais sa kaliémie est trop haute à 5.8 mmol/L. Je pense que ce n’est pas adéquat d’utiliser le Suxaméthonium et que nous devrions utiliser un curare non dépolarisant tel que le Rocuronium. Qu’en pensez vous?”.

Si vous n’obtenez pas de réponse satisfaisante, il est de votre responsabilité d’obtenir une aide extérieure pour d’abord protéger le patient et ensuite résoudre le désaccord.

“Écoutez, je pense que nous n’agissons pas correctement pour la sécurité du patient. J’appelle un collègue afin de lui demander son avis. Cela ne prendra que quelques secondes!!! En attendant je demande à ce que l’on prépare également du Rocuronium”.

Comment faciliter la “prise de position”

Le premier point fondamental est de sensibiliser à cette méthode.

Établir une culture de «prise de position» par des politiques et des pratiques durables et viables (certaines études montrent que les infirmières sont peu susceptibles de s’exprimer à moins d’être soutenues par des politiques spécifiques).

Développer des entraînements dans une attitude ouverte et de bienveillance ou “la prise de position” est non seulement félicitée mais encouragée.

Conclusion

Vous l’aurez compris, cette manière de faire est très anglo-saxonne par le caractère hiérarchique des relations inter-professionnelles.

Maintenant l’avantage est aussi de développer une approche communicationnelle plus universelle qui permet à une personne non dominante ou non leader de pouvoir faire entendre sa voix dans une situation de crise, au sens d’une situation où la sécurité du patient peut être mise en jeu.

Aborder ces notions au sein de ses équipes de soins me semble essentiel. En effet, je pense qu’il est important d’informer les personnes avec qui l’on travaille que nous sommes en mesure d’entendre ce qu’elles ont à dire mais également que nous encourageons cette prise de position.

Il n’y a pas de secret, cela nécessite de la confiance mutuelle mais force est de constater que ce type de communication permet aussi à des “juniors” de faire entendre leurs voix, surtout lorsqu’ils permettent d’optimiser la sécurité des patients.

Quelle est mon attitude dans une situation d’urgence imprévisible ou inhabituelle?

Je décrète qu’il y a une situation de crise.

Lorsque le leader la déclare, beaucoup de barrières cognitives sautent afin que l’ensemble de l’équipe se mettent en mode “crise”.

Ensuite j’évalue à voix haute pour faire partager à l’équipe mon cheminement de pensée et mes prises de décisions.

Si je suis dans l’impasse, je l’évoque également haut et fort et sollicite leurs propositions.

Je rejette celles qui ne me conviennent pas et acte celle qui ont du sens pour qu’elles puissent être mise en oeuvre.

De cette manière rare sont les situations dont je ne me suis pas sorti.

Sans jamais oublier un bon débriefing une fois le patient stabilisé.

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