QUAND LE COEUR S’ENRHUME…

 

Contexte :

La cardiomyopathie induite par le sepsis (CPIS) est une dysfonction myocardique réversible qui se résout typiquement dans les 7 à 10 jours après son apparition.

Elle est caractérisée par une dilatation ventriculaire gauche et une diminution de la fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG).

Cependant, de nombreuses incertitudes existent quant à son mécanisme, ses caractéristiques et son traitement.

Cette revue intéressante de 2015 tente de faire le point sur les connaissances actuelles sur la CPIS.

Les caractéristiques 

La CPIS est une complication du sepsis sévère et du choc septique décrite pour la première fois par Parker en 1984 comme étant une dépression myocardique réversible survenant pendant le choc septique.

Dans la CPIS, le myocarde est fonctionnellement et structurellement atteint par les cytokines inflammatoires et la dysfonction mitochondriale.

Les considérations hémodynamiques par l’échographie

L’échographie retrouve :

        – Une dilatation ventriculaire gauche,

        – Une diminution de la FEVG,

        – Une résolution dans les 7 à 10 jours.

Les considérations biologiques par la biologie moléculaire

La biologie moléculaire retrouve l’implication d’endotoxines, de cytokines et de NO.

Ces éléments semblent être les médiateurs chimiques principaux de la CPIS.

Le traitement 

Le traitement repose avant toute chose sur le traitement du sepsis responsable de son apparition.

Le recours à la Dobutamine est recommandé dans les Guidelines actuelles, même si des études récentes tendent à montrer qu’il n’y a pas d’amélioration du pronostic chez les patients septiques et qu’elle est à l’origine d’effets potentiellement graves.

Mortalité et outcomes de la CPIS

La méta-analyse de Huang et al. 2013, suggère que la mortalité des patients septiques ne dépend pas de l’existence ou non d’une CPIS.

Cependant, l’existence initiale au cours du choc septique d’une hyperkinésie cardiaque est rattachée à une mortalité plus importante (Viellard et al. 2001).

Les patients avec une CPIS tendent à présenter au début du sepsis une hypokinésie ou une normokinésie et pas d’hyperkinésie.

Ainsi, même si des études plus larges sont nécessaires, il semble possible de dire que les patients présentant une CPIS au cours d’un sepsis ont de meilleurs outcomes que ceux présentant un état hyperkinétique.

Cardiomyopathie de Takotsubo

Le sepsis peut également déclenché une cardiomyopathie de Takotsubo ou cardiomyopathie de stress. Cette dernière est définie comme un syndrome de ballonement apical ou syndrome de cœur brisé, différent de la CPIS.

Elle survient quand la fonction contractile des segments médian et apical du ventricule gauche diminue et qu’il existe une hyperkinésie de la base produisant un aspect de ballon de la distalité du ventricule gauche.

Le retour à une FEVG normale se fait en quelques semaines.

Bien que la cardiomyopathie de Takotsubo survienne aussi durant le sepsis sévère et le choc septique, ses étiologies et les altérations myocardiques sont différentes que dans la CPIS.

Différences CPIS et Takotsubo

Dans la CPIS, il y a une dysfonction ventriculaire globale et une dilatation ventriculaire globale sans dysfonction uniquement segmentaire.

Comme écrit précédemment, dans le Takotsubo, la dysfonction ventriculaire est régionale avec un ballonnement apical mimant un syndrome coronarien aigu.

La cardiomyopathie de Takotsubo se rencontre en marge de nombreuses pathologies, suggérant que sa physiopathologie n’est pas spécifique.

Le Takotsubo est le piège ancestral utilisé par les japonais pour capturer les poulpes. La forme de ce piège ressemble effectivement à la forme du ventricule gauche atteint du Takotsubo à l’angiographie.

Angiographie

Échocardiographie

Le diagnostic de la CPIS : 3 caractéristiques principales

Dilatation ventriculaire gauche

Les pressions de remplissage ont normales ou basses. Ceci étant très probablement dû à une augmentation de la compliance du ventricule gauche (Parker et al. 1984).

On constate une augmentation anormale du volume télédiastolique ventriculaire gauche chez les patients survivant au sepsis impliquant donc une augmentation de la compliance (Ognibene et al. 1988).

Diminution de la fraction d’éjection ventriculaire gauche

La diminution de la FEVG est due à la dilatation ventriculaire gauche et non pas à une diminution du volume d’éjection systolique (Parker et al. 1984).

Résolution de la CPIS dans les 7 à 10 jours (Parker et al. 1984, Kumar et al. 2000, Jardin et al. 1999)

Autres caractéristiques

Dans la CPIS, on peut noter une augmentation du BNP. Cependant l’importance de l’élévation n’est pas corrélée aux pressions de remplissage ventriculaires ni au pronostic (Papanikolaou et al. 2014).

Dans la CPIS, la troponine peut être augmentée. Mais il s’agit d’un mauvais marqueur diagnostic puisqu’elle augmente dans 43 à 85% des chocs septiques (Mehta et al. 2004, Ver Elst et al. 2000, Amman et al. 2001). L’augmentation de la troponine au cours du sepsis est corrélée à une mortalité plus importante malgré tout (Bessière et al. 2013).

Mécanisme de la CPIS

Deux mécanismes ont été proposés.

Le premier à avoir été proposé est celui d’une ischémie myocardique résultant d’un débit coronaire insuffisant (Bruni et al. 1978). Mais l’étude expérimentale de Cunnion et al. 1986 a finalement conclu à la très faible probabilité de ce mécanisme pour expliquer la CPIS.

Le second mécanisme proposé et retenu à ce jour pour expliquer la CPIS est celui du rôle causal de médiateurs chimiques tels que les endotoxines, les cytokines et le NO.

L’administration d’endotoxines chez des sujets sains provoque une diminution de la FEVG (Suffredini et al. 1989).

L’exposition du myocarde aux endotoxines in vitro provoque une diminution de l’inotropisme en augmentant l’activité de la No synthétase et la libération de NO (Flesh et al. 1999).

Les cytokines agissent en augmentant la production de NO (Kumar et al. 1986).

Enfin, le NO agit sur les myocytes en diminuant la réponse des myofibrilles au calcium (Am et al. 1994), entraînant une dysfonction mitochondriale (Rudiger et al. 2007) et une down-regulation des récepteurs bêta-adrénergiques (Bohm et al. 1995).

La sévérité de la dysfonction cardiaque et la mortalité peuvent être reliées à l’overproduction de NO et la dysfonction mitochondriale (Crouser et al. 2002, Brealey et al. 2002, Crouser et al. 2004).

Une étude récente a montré que des niveaux circulant importants d’histone sont associés à l’apparition de dysfonction ventriculaire gauche et d’arythmies chez patients sans dysfonction cardiaque préalable (Alhamdi et al. 2015).

Les raisons pour lesquelles la résolution de la CPIS se fait en 7 à 10 jours ne sont que peu comprises.

Traitement de la CPIS

Le traitement standard de la CPIS est celui du sepsis avec le contrôle de l’infection et l’optimisation hémodynamique (remplissage vasculaire et Noradrénaline).

Devrions nous avoir la Dobutamine « facile » ?

Les guidelines actuelles recommandent la Dobutamine pour augmenter l’Index Cardiaque (IC). Mais il est montré que l’utilisation de la Dobutamine pour obtenir des valeurs normales d’IC ne réduit pas la morbi-mortalité des patients de soins intensifs  (Gattinoni et al. 1995, Michelle et al.1994).

L’utilisation de la Dobutamine est associé à une mortalité plus importante à 90 jours en cas de choc septique (Wilkman et al. 2013).

La Dobutamine ne permet pas d’améliorer la microcirculation sublinguale, ni les paramètres de perfusion hepatosplanchnique et périphériques en cas de choc septique (Hernadez et al. 2013).

La Dobutamine pourrait être à l’origine d’une stimulation de la prolifération bactérienne et de la formation de biofilm, représentant un facteur étiologique dans le développement de colonisation intravasculaire de cathéter ainsi que les infections induites par les cathéter (Lyte et al. 2003).

→ La réponse semble donc être NON

Les arguments du NON à la Dobutamine facile

La diminution de la réponse bêta-adrénergique chez les patients avec une CPIS pourrait avoir un effet protecteur.

L’utilisation de béta-bloquant pour réduire la fréquence cardiaque chez les patients en choc septique pourrait aider à augmenter la survie (Morelli et al.2013).

Ce sont des résultats préliminaires nécessitant des études plus larges, mais il pourrait signifier que le blocage bêta-adrénergique aurait un effet positif dans le traitement du choc septique.

Les autres traitements

– Pas d’études mais des cases report pour le traitement de la CPIS,

– Ballon de contre-pulsion aortique,

– ECMO.

Récapitulatif

Définition 

– Dilatation ventriculaire gauche,

– Diminution de la fraction d’éjection,

– Résolution en 7 à 10 jours.

Causes bio-moléculaires : endotoxines, cytokines.

Le management initial de la CPIS est identique à celui du choc septique sans cardiomyopathie.

Cependant le manque de preuve que la Dobutamine améliore la survie d’une part et les éléments montrant qu’elle pourrait affectée négativement l’outcome des patients en choc septique d’autre part implique que son utilisation en routine risque de ne plus être recommandée.

Dans un futur proche, l’ECMO pourrait être utilisé comme des outils thérapeutiques des CPIS réfractaires aux autres traitements.

Les résultats récents de l’étude LeoPARDS montrent que l’utilisation du Levosimendan dans le sepsis sévère et le choc septique n’est pas associé à un meilleur outcome pour les patients.

Message de BLOCKCHOC

Je trouve que cet article est intéressant sur un point essentiel de notre métier de médecin en général et des soins intensifs en particulier : PRIMUM NON NOCERE.

Ne pourrait on pas considérer que le coeur s’adapte au sepsis en réduisant son débit afin de ne pas propager toutes les cytokines inflammatoires dans tous les organes?

Ne pourrait on pas considérer qu’en luttant contre cette diminution du débit cardiaque (en recourant à la Dobutamine par exemple) on enflamme littéralement les corps de nos patients aggravant finalement les choses?

Nous disposons aujourd’hui d’outils de monitorage du débit cardiaque tels que le PICCO ou le cathétérisme cardiaque droit. Ceux ci ne doivent pas nous faire corriger à tort des états cliniques ne mettant pas le patient à court terme en danger tant que nous possédons des facteurs de suivis (comme le lactate ou la SCVO2) qui restent dans le vert.

A l’avenir, j’attendrai d’avoir des arguments forts de dette d’oxygène pour introduire un traitement par Dobutamine dans le contexte du sepsis.

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